Autrefois j’ai étudié la méditation (2)
Reprenons le poème Autrefois j’ai étudié la méditation avec une lecture mot à mot :
我昔學静慮 je - autrefois - étudier - tranquille - méditation
微微調氣息 finement - accorder - respiration
如是經歳霜 ainsi - passer - années
殆到忘寝食 au point de - oublier - dormir - manger
縱得安閑處 même - atteindre - inutilité - état
蓋縁修行力 sans doute - grâce à - pratique - force
爭如達無作 comment comparer - atteindre - non-faire
一得即永得 une fois - atteint - aussitôt - pour toujours - atteint
Et plus particulièrement les deux premiers vers :
我昔學静慮
微微調氣息
En lecture japonaise : ware mukashi jôryo o manabi / bibi to shite kisoku o totonou
Le poème débute par le pronom personnel 我 ware («je, moi»). Un nombre non négligeable de poèmes de Ryôkan commence par ce pronom, ce qui est plutôt rare dans une poésie chinoise. Dans la grammaire chinoise, on distingue les mots pleins, c’est-à-dire les verbes, les noms et les adjectifs, qui sont signifiants par eux-mêmes et les mots vides, pronoms, adverbes, conjonctions, prépositions, qui permettent d’articuler les mots entre eux. La poésie chinoise est normalement économe des mots vides pour créer un nouveau rapport des signifiants entre eux. Tout particulièrement les pronoms tendent à disparaître, qui voit, qui écrit, qui écoute : le poète, quelqu’un d’autre, le lecteur ? Parfois, on ne sait pas distinguer et l’indécision quasi intraduisible est souvent de règle. Mais ici, dans ce poème de Ryôkan, comme dans le poème d’Hanshan, sur lequel il est calqué, les mots vides surabondent. On ne l’entend pas dans la traduction, mais le lecteur chinois est immédiatement frappé par ce trop-plein de mot vides, pronom, adverbes, conjonctions, qui prennent une grand place dans un cadre étroit de cinq fois huit, quarante caractères au total. Comme si justement les signifiants devaient eux-mêmes s’évider...
Selon les règles de prosodie chinoise, les deux vers doivent être lu en parallèle. En troisième position, les verbes 學 manabu («étudier, pratiquer») et 調 totonou («accorder, harmoniser») évoquent directement l’acte de s’asseoir en méditation. Manabu signifie «étudier» mais, dans la perspective orientale, l’étude est un acte complet qui engage à la fois le corps et esprit, il s’agit donc, non d’une étude intellectuelle mais d’une pratique.
静慮 Jôryo, jô, «tranquille, calme, silencieux» et ryo, «penser, considérer, réfléchir». Le terme n’implique pourtant pas dans ce contexte que l’on doive réfléchir. Le terme, générique, sert à traduire des mots de la terminologie bouddhiste comme dhyâna ou samâdhi. En chinois, 静慮 désigne simplement la méditation.
調 Totonou a le sens d’«harmoniser, accorder, combiner, arranger». La méditation est toujours décrite sous le triple aspect de l’harmonisation du corps (調身 chôshin), de la respiration (調息 chôsoku) et de l’esprit (調心 chôshin). Il s’agit d’ajuster le corps, la respiration, le mental, de les disposer d’une certaine façon. Chez Dôgen, l’harmonisation du souffle n’implique pas une technique particulière de respiration, il s’agit simplement de respirer par le nez le plus finement possible. À l’époque Edo, la tradition zen a néanmoins intégré des méthodes de respiration et l’harmonisation du souffle peut désigner des techniques précises comme le décompte des respirations. Il semble que Ryôkan évoque plutôt là une méthode, mais on ne peut guère conclure à la seule lecture du poème.
La forme 調氣息 «accorder la respiration» fait écho à 未曾息, «pas encore arrêté», dans le poème d’Hanshan avec le même caractère final mais employé dans des acceptations radicalement différentes. 息 est un terme polysémique qui signifie «respirer, vivre» mais aussi «se reposer, arrêter, terminer». J'ai traduit dans un cas «le souffle», dans l’autre «s’essoufler», pour garder cette proximité.
L’adverbe redoublé 微微 bibi to shite, «finement, imperceptiblement» fait évidemment écho à la répétition 念念 nennen, «d’instant en instant», dans le poème d’Hanshan et dont-il prend la place. On peut donc l’entendre comme un affinement qui ne cesse d’instant en instant, d’autant que le redoublement 微微 est plutôt inhabituel. Mais l’adverbe évoque aussi une forme de respiration. Dans le zen, 微息 bisoku, «la respiration imperceptible», désigne la quatrième type de respiration (bruyante, contrainte, naturelle, imperceptible) que l’on peut expérimenter dans la méditation. C’est la plus profonde.
Je traduis donc, faute de mieux :
Autrefois, j’ai étudié la méditation
Accordant finement le souffle
我昔學静慮 je - autrefois - étudier - tranquille - méditation
微微調氣息 finement - accorder - respiration
如是經歳霜 ainsi - passer - années
殆到忘寝食 au point de - oublier - dormir - manger
縱得安閑處 même - atteindre - inutilité - état
蓋縁修行力 sans doute - grâce à - pratique - force
爭如達無作 comment comparer - atteindre - non-faire
一得即永得 une fois - atteint - aussitôt - pour toujours - atteint
Et plus particulièrement les deux premiers vers :
我昔學静慮
微微調氣息
En lecture japonaise : ware mukashi jôryo o manabi / bibi to shite kisoku o totonou
Le poème débute par le pronom personnel 我 ware («je, moi»). Un nombre non négligeable de poèmes de Ryôkan commence par ce pronom, ce qui est plutôt rare dans une poésie chinoise. Dans la grammaire chinoise, on distingue les mots pleins, c’est-à-dire les verbes, les noms et les adjectifs, qui sont signifiants par eux-mêmes et les mots vides, pronoms, adverbes, conjonctions, prépositions, qui permettent d’articuler les mots entre eux. La poésie chinoise est normalement économe des mots vides pour créer un nouveau rapport des signifiants entre eux. Tout particulièrement les pronoms tendent à disparaître, qui voit, qui écrit, qui écoute : le poète, quelqu’un d’autre, le lecteur ? Parfois, on ne sait pas distinguer et l’indécision quasi intraduisible est souvent de règle. Mais ici, dans ce poème de Ryôkan, comme dans le poème d’Hanshan, sur lequel il est calqué, les mots vides surabondent. On ne l’entend pas dans la traduction, mais le lecteur chinois est immédiatement frappé par ce trop-plein de mot vides, pronom, adverbes, conjonctions, qui prennent une grand place dans un cadre étroit de cinq fois huit, quarante caractères au total. Comme si justement les signifiants devaient eux-mêmes s’évider...
Selon les règles de prosodie chinoise, les deux vers doivent être lu en parallèle. En troisième position, les verbes 學 manabu («étudier, pratiquer») et 調 totonou («accorder, harmoniser») évoquent directement l’acte de s’asseoir en méditation. Manabu signifie «étudier» mais, dans la perspective orientale, l’étude est un acte complet qui engage à la fois le corps et esprit, il s’agit donc, non d’une étude intellectuelle mais d’une pratique.
静慮 Jôryo, jô, «tranquille, calme, silencieux» et ryo, «penser, considérer, réfléchir». Le terme n’implique pourtant pas dans ce contexte que l’on doive réfléchir. Le terme, générique, sert à traduire des mots de la terminologie bouddhiste comme dhyâna ou samâdhi. En chinois, 静慮 désigne simplement la méditation.
調 Totonou a le sens d’«harmoniser, accorder, combiner, arranger». La méditation est toujours décrite sous le triple aspect de l’harmonisation du corps (調身 chôshin), de la respiration (調息 chôsoku) et de l’esprit (調心 chôshin). Il s’agit d’ajuster le corps, la respiration, le mental, de les disposer d’une certaine façon. Chez Dôgen, l’harmonisation du souffle n’implique pas une technique particulière de respiration, il s’agit simplement de respirer par le nez le plus finement possible. À l’époque Edo, la tradition zen a néanmoins intégré des méthodes de respiration et l’harmonisation du souffle peut désigner des techniques précises comme le décompte des respirations. Il semble que Ryôkan évoque plutôt là une méthode, mais on ne peut guère conclure à la seule lecture du poème.
La forme 調氣息 «accorder la respiration» fait écho à 未曾息, «pas encore arrêté», dans le poème d’Hanshan avec le même caractère final mais employé dans des acceptations radicalement différentes. 息 est un terme polysémique qui signifie «respirer, vivre» mais aussi «se reposer, arrêter, terminer». J'ai traduit dans un cas «le souffle», dans l’autre «s’essoufler», pour garder cette proximité.
L’adverbe redoublé 微微 bibi to shite, «finement, imperceptiblement» fait évidemment écho à la répétition 念念 nennen, «d’instant en instant», dans le poème d’Hanshan et dont-il prend la place. On peut donc l’entendre comme un affinement qui ne cesse d’instant en instant, d’autant que le redoublement 微微 est plutôt inhabituel. Mais l’adverbe évoque aussi une forme de respiration. Dans le zen, 微息 bisoku, «la respiration imperceptible», désigne la quatrième type de respiration (bruyante, contrainte, naturelle, imperceptible) que l’on peut expérimenter dans la méditation. C’est la plus profonde.
Je traduis donc, faute de mieux :
Autrefois, j’ai étudié la méditation
Accordant finement le souffle
Mots-clés : méditation, poésie, Ryôkan, traductions
Imprimer | Articlé publié par Éric Rommeluère le 13 Mai 08 |