Traduction
11 Oct. 2011
Parmi les questions reçues revient souvent celle des traductions des ouvrages du maître zen Dôgen. Laquelle choisir ? Je n’en recommanderais que deux s’agissant de la traduction du Shôbôgenzô, l’œuvre maîtresse de Dôgen :
- La traduction anglaise de Gudô Nishijima et de Chôdô Cross en quatre volumes, aujourd’hui téléchargeables gratuitement sur le net.
- La traduction anglaise en ligne du collectif Soto Zen Texts Project. Cette traduction (inachevée à ce jour) a l’avantage de disposer d’un appareil critique conséquent et de donner la version originale japonaise.
Les traductions partielles de Norman Wadell et de Thomas Cleary sont très bonnes aussi. Je n’ai pas lu la version de Kazuaki Tanahashi récemment publiée. Les versions anglaises de Yuho Yokoi et de Kôsen Nishiyama sont des traductions trop libres pour être retenues.
En français, nous disposons de la traduction de quelques chapitres par Bernard Faure dans son ouvrage La vision immédiate. La version de Yoko Orimo est trop contournée pour être un support d'études. Celle de Charles Vacher n'a que peu de rapports avec l'original.
Mais avec l’écriture toute particulière de Dôgen, les meilleures traductions ont leurs limites et il paraît difficile d'accéder à sa pensée (qui se confond avec un travail sur la langue) sans un minimum de connaissances du chinois ancien et du japonais classique. Pour ceux que l'apprentissage du japonais classique ne rebuterait pas, la Bible traduite en japonais classique est disponible sur la Toile :
元始に神天地を創造たまへり
Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.
地は定形なく曠空くして黑暗淵の面にあり神の靈水の面を覆たりき
La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.
神光あれと言たまひければ光ありき
Dieu dit : Que la lumière soit! Et la lumière fut.
La langue est fort châtiée et ce n'est pas exactement le style de Dôgen. Mais, en tout cas, on peut s'initier au japonais classique d'une façon pour le moins originale. Plusieurs grammaires sont aujourd'hui disponibles. L'ouvrage de Haruo Shirane, Classical Japanese: A Grammar, est accessible, agréable et complet.
- La traduction anglaise de Gudô Nishijima et de Chôdô Cross en quatre volumes, aujourd’hui téléchargeables gratuitement sur le net.
- La traduction anglaise en ligne du collectif Soto Zen Texts Project. Cette traduction (inachevée à ce jour) a l’avantage de disposer d’un appareil critique conséquent et de donner la version originale japonaise.
Les traductions partielles de Norman Wadell et de Thomas Cleary sont très bonnes aussi. Je n’ai pas lu la version de Kazuaki Tanahashi récemment publiée. Les versions anglaises de Yuho Yokoi et de Kôsen Nishiyama sont des traductions trop libres pour être retenues.
En français, nous disposons de la traduction de quelques chapitres par Bernard Faure dans son ouvrage La vision immédiate. La version de Yoko Orimo est trop contournée pour être un support d'études. Celle de Charles Vacher n'a que peu de rapports avec l'original.
Mais avec l’écriture toute particulière de Dôgen, les meilleures traductions ont leurs limites et il paraît difficile d'accéder à sa pensée (qui se confond avec un travail sur la langue) sans un minimum de connaissances du chinois ancien et du japonais classique. Pour ceux que l'apprentissage du japonais classique ne rebuterait pas, la Bible traduite en japonais classique est disponible sur la Toile :
元始に神天地を創造たまへり
Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.
地は定形なく曠空くして黑暗淵の面にあり神の靈水の面を覆たりき
La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.
神光あれと言たまひければ光ありき
Dieu dit : Que la lumière soit! Et la lumière fut.
La langue est fort châtiée et ce n'est pas exactement le style de Dôgen. Mais, en tout cas, on peut s'initier au japonais classique d'une façon pour le moins originale. Plusieurs grammaires sont aujourd'hui disponibles. L'ouvrage de Haruo Shirane, Classical Japanese: A Grammar, est accessible, agréable et complet.
Mots-clés : Dôgen, Shôbôgenzô, traductions
Kanashimubeshi
23 Nov. 2010
J’aime me plonger dans les textes japonais des temps anciens. Une langue exprime dans sa structure même une vision du monde. Le japonais ancien m’apparaît comme une langue de l’émotion et de la subjectivité. On le voit tout particulièrement dans les romans et récits médiévaux mais surtout dans les poésies qui font un large usage de particules ou d’auxiliaires verbaux pour exprimer en quelques mots le paysage intérieur du poète. Bien sûr, parler dans cette langue ne se résume pas à une simple communication d’états émotionnels. Le Japonais sait fort bien parler de la réalité, mais son discours peut immédiatement se transformer en un discours sur le réel tel qu’il vibre en lui. Cette subjectivité s’exprime alors dans une autre structuration grammaticale et syntaxique. Les traductions françaises peinent à rendre ces "paroles de l'âme" car notre langue ne possède pas la subtilité émotionnelle de la langue japonaise ancienne.
La littérature bouddhiste de l’époque médiévale est différente et forme un genre à part, même lorsqu’elle est écrite en japonais, car il s’agit d’oeuvres essentiellement didactiques et apologétiques. Ces textes sont rédigés dans une langue hybride de japonais mêlée de chinois. L’oeuvre japonaise du maître zen Dôgen, son Shôbôgenzô, est réputée difficile. Elle est particulièrement déroutante car son écriture articule constamment deux niveaux, le discours ordinaire (le discours sur la réalité) et le méta-discours (le discours sur le discours) en jouant de cet entremêlement du chinois et du japonais. Ces niveaux ne se lisent pas à la suite, comme le seraient un texte suivi de son commentaire, mais coexistent au fil de son écriture. La traduction tout autant que la lecture est donc fort rebutantes. Le Shôbôgenzô est un objet fort singulier de littérature.
À lire, un article de Steven Heine : Kôans in the Dôgen Tradition: How and why Dôgen does what he does with kôans (en anglais).
Quelque chose me surprend chez Dôgen, la quasi-absence de la subjectivité propre aux Japonais. Les autres auteurs bouddhistes de son époque évoquent ou parlent assez librement de leur paysage intérieur. Tel n’est pas le cas pour Dôgen. Bien qu’il ait écrit des milliers de pages, nous ne possédons aucune lettre personnelle de sa main. Il ne livre aucun récit de ses rêves (à part une fois ou deux) alors que pour ses contemporains, le monde onirique est un espace privilégié. Certes, il aurait laissé quelques poésies japonaises (waka) réunies dans un recueil intitulé Sanshôdôei, "Les poésies de la voie du pin parasol", mais l’exégèse moderne a montré qu’elles sont au moins pour partie faussement attribuées à Dôgen. Les historiens ont également remarqué qu’il ne fait jamais fait allusion dans ses écrits à l’un des changements majeurs de sa vie, son départ de Kyôto qui a dû se passer dans des conditions difficiles et peut-être dramatiques. Sans doute persécuté, il déserte à quarante ans passés son propre monastère avec la plupart de ses moines. Ils traversent en deux semaines une grande partie du Japon à pied et s'établissent dans une région reculée. Il n’évoquera jamais ni ce voyage ni les raisons qui ont poussé sa communauté à quitter la capitale.
Et pourtant... il y a comme un retour de l’âme japonaise (je ne dirais pas un retour du refoulé) chez Dôgen. Une expression revient souvent sous sa plume, et qui m’intrigue chez lui, il s’agit de la forme verbale kanashimubeshi. Il l’utilise pour déplorer l’état du bouddhisme de son époque. Il s’agit du verbe kanashimu auquel est suffixé l’auxiliaire beshi qui indique une possibilité ou une présomption. Le verbe kanashimu est la verbalisation de l’adjectif kanashiku, "triste". On pourrait donc traduire kanashimubeshi par "comme c’est triste" ou "comme c’est pitoyable". Mais cette traduction en français pourtant assez littérale ne rend pas suffisamment compte du sentiment de désolation intérieure qu’elle exprime.
Dans ce kanashimubeshi, je n’entends pas simplement le sentiment de Dôgen mais toute l’âme du Japon.
La chanteuse Misora Hibari interprète Kanashii sake, "Triste saké". Écoutez cette tristesse...
La littérature bouddhiste de l’époque médiévale est différente et forme un genre à part, même lorsqu’elle est écrite en japonais, car il s’agit d’oeuvres essentiellement didactiques et apologétiques. Ces textes sont rédigés dans une langue hybride de japonais mêlée de chinois. L’oeuvre japonaise du maître zen Dôgen, son Shôbôgenzô, est réputée difficile. Elle est particulièrement déroutante car son écriture articule constamment deux niveaux, le discours ordinaire (le discours sur la réalité) et le méta-discours (le discours sur le discours) en jouant de cet entremêlement du chinois et du japonais. Ces niveaux ne se lisent pas à la suite, comme le seraient un texte suivi de son commentaire, mais coexistent au fil de son écriture. La traduction tout autant que la lecture est donc fort rebutantes. Le Shôbôgenzô est un objet fort singulier de littérature.
À lire, un article de Steven Heine : Kôans in the Dôgen Tradition: How and why Dôgen does what he does with kôans (en anglais).
Quelque chose me surprend chez Dôgen, la quasi-absence de la subjectivité propre aux Japonais. Les autres auteurs bouddhistes de son époque évoquent ou parlent assez librement de leur paysage intérieur. Tel n’est pas le cas pour Dôgen. Bien qu’il ait écrit des milliers de pages, nous ne possédons aucune lettre personnelle de sa main. Il ne livre aucun récit de ses rêves (à part une fois ou deux) alors que pour ses contemporains, le monde onirique est un espace privilégié. Certes, il aurait laissé quelques poésies japonaises (waka) réunies dans un recueil intitulé Sanshôdôei, "Les poésies de la voie du pin parasol", mais l’exégèse moderne a montré qu’elles sont au moins pour partie faussement attribuées à Dôgen. Les historiens ont également remarqué qu’il ne fait jamais fait allusion dans ses écrits à l’un des changements majeurs de sa vie, son départ de Kyôto qui a dû se passer dans des conditions difficiles et peut-être dramatiques. Sans doute persécuté, il déserte à quarante ans passés son propre monastère avec la plupart de ses moines. Ils traversent en deux semaines une grande partie du Japon à pied et s'établissent dans une région reculée. Il n’évoquera jamais ni ce voyage ni les raisons qui ont poussé sa communauté à quitter la capitale.
Et pourtant... il y a comme un retour de l’âme japonaise (je ne dirais pas un retour du refoulé) chez Dôgen. Une expression revient souvent sous sa plume, et qui m’intrigue chez lui, il s’agit de la forme verbale kanashimubeshi. Il l’utilise pour déplorer l’état du bouddhisme de son époque. Il s’agit du verbe kanashimu auquel est suffixé l’auxiliaire beshi qui indique une possibilité ou une présomption. Le verbe kanashimu est la verbalisation de l’adjectif kanashiku, "triste". On pourrait donc traduire kanashimubeshi par "comme c’est triste" ou "comme c’est pitoyable". Mais cette traduction en français pourtant assez littérale ne rend pas suffisamment compte du sentiment de désolation intérieure qu’elle exprime.
Dans ce kanashimubeshi, je n’entends pas simplement le sentiment de Dôgen mais toute l’âme du Japon.
La chanteuse Misora Hibari interprète Kanashii sake, "Triste saké". Écoutez cette tristesse...
Mots-clés : Dôgen, Shôbôgenzô, traductions
Le moine Tetsugen
20 Nov. 2010
Une autre biographie, toujours extraite des Vies excentriques des temps modernes (Kinsei kijin den, 1790), celle de Tetsugen Dôkô (1630-1682), l'un des plus célèbres moines de l'école zen Ôbaku. Il fit imprimer l'intégralité du canon bouddhiste (48.275 pages dans cette version imprimée). D'abord adepte de l'école Jôdo shinshû, il se convertit à l'enseignement du zen qu'enseignaient des moines chinois établis au temple d'Ôbakusan Manpukuji.
僧鉄眼
僧鉄眼、諱道光、肥後國本願寺末下の寺に生れ、既に妻もありしが、其宗徒不徳无才の人も、寺格により上位に居ることを甘心せず、黄檗山に登り木庵禪師に従ふ。其の妻たる人尋ね登しかども對面せざるを慮りて、黄檗門前に旅宿して、師の出づるを窺ふに、或日果して出でたるを、強ひて誘ひければ、止む事を得ず伴ひて故國へ歸り、其の郷まで入しが、ぬけて上途し、又黄檗に至る。法を嗣ぎし後、攝津國難波村瑞龍寺を建立せり。世人今猶鉄眼をもて其の寺を稱す、一切經の藏板を思ひ立ちて勸進せしに、其の料金集れる頃、天下大に餓ゑしかば、師憐みて件の金を殘らず施し、又如前勸進せるに、数年ならず又集りたるが、再び五穀不熟にて餓死多ければ、此の度も此の金を施行に盡せり。されども徳の至りにや、第三回の勸進にて藏經の印刻成就して、其の經を頒つ所の代金を、本寺より已下一宗の寺々に配ること今に於いて同じ。(同宗に錦袋園といふ藥をうるも同じ。勸學寮より一宗に金を頒つ) 此の師佛學深く説法能辮にて、俗間を化度する事多けれども、生涯建立門にかゝり、自の腕力十分ならずといひて、吾が法嗣を立てず、法弟寶洲和尚に寺を附屬す。是又他の難き所なり。寶洲も佛學に長じて徳業ありしとぞ。
Mon essai de traduction :
Le moine Tetsugen
Le moine Tetsugen, Dôkô de son nom d’ordination (imina), était né dans un temple dépendant du Honganji de la province de Higo. Il avait déjà une épouse mais, insatisfait que dans son école des personnes sans vertu ni talent occupent des positions élevées dans la hiérarchie, il se rendit au temple d’Ôbakusan [Manpukuji] où il suivit le maître zen Mokuan. Sa femme vint le trouver mais pensant qu’elle ne pourrait le rencontrer, elle se logea dans une auberge aux abords du temple (monzen) d’où elle épiait sa sortie. Un jour, il sortit selon ce qu’elle avait espéré. Comme elle le pressait de la rejoindre, il n’eut d’autre choix que de retourner avec elle dans sa province jusqu’à revenir dans son village mais il s’échappa, reprit la route et rejoignit à nouveau Ôbaku. Après avoir reçu la transmission du dharma, il fonda le temple de Zuiryûji au village de Naniwa dans la province de Settsu. Même aujourd’hui les gens appellent ce temple de son nom, le Tetsugenji. Il décida de faire graver une édition du canon bouddhiste et il collecta des fonds (kanjin). Au moment où l’argent nécessaire fut rassemblé, il y eut une grande famine dans le pays, et dans sa compassion il le distribua sans qu’il ne lui reste plus rien de cet argent. Puis à nouveau, il recommença sa collecte comme avant. En très peu d’années, l’argent fut réuni mais à nouveau les cinq sortes de grains ne mûrirent pas et les morts de faim furent si nombreux que cette fois-ci également il dépensa la totalité en aumônes. Au comble de la vertu cependant, à la troisième collecte, il mena à son terme l’impression du canon. De même aujourd’hui, le coût de la distribution de ces sûtras est réparti entre tous les temples de l’école [Ôbaku] du temple principal aux suivants (de la même manière, on vend dans cette école une médecine du nom de kintaien, l’argent est distribué dans toute l’école par la résidence Kangakuryô). Les études bouddhistes de ce maître étaient profondes, ses sermons éloquents et bien que la populace qu’il convertissait était fort nombreuse, il resta toute sa vie au seuil de l’habileté (konryûmon). On dit qu’il n’eut pas suffisamment de force en lui-même et il ne désigna pas d’héritier dans le dharma (hôshi). Il transmit le temple à maître Hôshû, son disciple. Ce fut également une affaire difficile pour les autres [disciples]. Il est dit qu’Hôshû était tout autant versé dans les études bouddhistes et qu’il pratiquait les actes vertueux.
Une vraie difficulté de traduction avec l'expression konryûmon ni kakari, lit. "suspendu à la porte de l'établissement" sur laquelle je sèche. Konryûmon, "la porte de l'établissement / la rubrique de la manifestation" est un terme technique du zen et désigne la dimension opérative post-éveil. Je la rends provisoirement par "rester au seuil de l'habileté" d'après le contexte. Toute suggestion bienvenue.
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Tetsugen Dôkô. Cliquez sur l'image.
僧鉄眼
僧鉄眼、諱道光、肥後國本願寺末下の寺に生れ、既に妻もありしが、其宗徒不徳无才の人も、寺格により上位に居ることを甘心せず、黄檗山に登り木庵禪師に従ふ。其の妻たる人尋ね登しかども對面せざるを慮りて、黄檗門前に旅宿して、師の出づるを窺ふに、或日果して出でたるを、強ひて誘ひければ、止む事を得ず伴ひて故國へ歸り、其の郷まで入しが、ぬけて上途し、又黄檗に至る。法を嗣ぎし後、攝津國難波村瑞龍寺を建立せり。世人今猶鉄眼をもて其の寺を稱す、一切經の藏板を思ひ立ちて勸進せしに、其の料金集れる頃、天下大に餓ゑしかば、師憐みて件の金を殘らず施し、又如前勸進せるに、数年ならず又集りたるが、再び五穀不熟にて餓死多ければ、此の度も此の金を施行に盡せり。されども徳の至りにや、第三回の勸進にて藏經の印刻成就して、其の經を頒つ所の代金を、本寺より已下一宗の寺々に配ること今に於いて同じ。(同宗に錦袋園といふ藥をうるも同じ。勸學寮より一宗に金を頒つ) 此の師佛學深く説法能辮にて、俗間を化度する事多けれども、生涯建立門にかゝり、自の腕力十分ならずといひて、吾が法嗣を立てず、法弟寶洲和尚に寺を附屬す。是又他の難き所なり。寶洲も佛學に長じて徳業ありしとぞ。
Mon essai de traduction :
Le moine Tetsugen
Le moine Tetsugen, Dôkô de son nom d’ordination (imina), était né dans un temple dépendant du Honganji de la province de Higo. Il avait déjà une épouse mais, insatisfait que dans son école des personnes sans vertu ni talent occupent des positions élevées dans la hiérarchie, il se rendit au temple d’Ôbakusan [Manpukuji] où il suivit le maître zen Mokuan. Sa femme vint le trouver mais pensant qu’elle ne pourrait le rencontrer, elle se logea dans une auberge aux abords du temple (monzen) d’où elle épiait sa sortie. Un jour, il sortit selon ce qu’elle avait espéré. Comme elle le pressait de la rejoindre, il n’eut d’autre choix que de retourner avec elle dans sa province jusqu’à revenir dans son village mais il s’échappa, reprit la route et rejoignit à nouveau Ôbaku. Après avoir reçu la transmission du dharma, il fonda le temple de Zuiryûji au village de Naniwa dans la province de Settsu. Même aujourd’hui les gens appellent ce temple de son nom, le Tetsugenji. Il décida de faire graver une édition du canon bouddhiste et il collecta des fonds (kanjin). Au moment où l’argent nécessaire fut rassemblé, il y eut une grande famine dans le pays, et dans sa compassion il le distribua sans qu’il ne lui reste plus rien de cet argent. Puis à nouveau, il recommença sa collecte comme avant. En très peu d’années, l’argent fut réuni mais à nouveau les cinq sortes de grains ne mûrirent pas et les morts de faim furent si nombreux que cette fois-ci également il dépensa la totalité en aumônes. Au comble de la vertu cependant, à la troisième collecte, il mena à son terme l’impression du canon. De même aujourd’hui, le coût de la distribution de ces sûtras est réparti entre tous les temples de l’école [Ôbaku] du temple principal aux suivants (de la même manière, on vend dans cette école une médecine du nom de kintaien, l’argent est distribué dans toute l’école par la résidence Kangakuryô). Les études bouddhistes de ce maître étaient profondes, ses sermons éloquents et bien que la populace qu’il convertissait était fort nombreuse, il resta toute sa vie au seuil de l’habileté (konryûmon). On dit qu’il n’eut pas suffisamment de force en lui-même et il ne désigna pas d’héritier dans le dharma (hôshi). Il transmit le temple à maître Hôshû, son disciple. Ce fut également une affaire difficile pour les autres [disciples]. Il est dit qu’Hôshû était tout autant versé dans les études bouddhistes et qu’il pratiquait les actes vertueux.
Une vraie difficulté de traduction avec l'expression konryûmon ni kakari, lit. "suspendu à la porte de l'établissement" sur laquelle je sèche. Konryûmon, "la porte de l'établissement / la rubrique de la manifestation" est un terme technique du zen et désigne la dimension opérative post-éveil. Je la rends provisoirement par "rester au seuil de l'habileté" d'après le contexte. Toute suggestion bienvenue.
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Tetsugen Dôkô. Cliquez sur l'image.
Mots-clés : Kinsei kijin den, traductions