Le bouddhisme engagé aujourd'hui Version imprimable

Ces derniers mois ont été forts riches en rencontres et en projets initiés, à Lyon, à La Rochelle, à Paris, à Nantes, à Strasbourg et dans d’autres lieux. Beaucoup de personnes aspirent au changement, se soutiennent et œuvrent ensemble.

Toutes ces rencontres, toutes ces attentions partagées m’ont aussi permis de clarifier des questionnements et la signification du bouddhisme engagé lui-même. Si le bouddhisme engagé, en tant que mouvement, a d’abord été une conscience politique puis une pratique sociale et caritative, il entre en effet aujourd’hui dans une nouvelle phase de son développement. Il ne se pense plus comme un simple bouddhisme appliqué (des engagements citoyens ou l’exercice de vertus dans le champ des relations humaines, sociales ou professionnelles) mais comme une voie de libération à part entière, dotée de ses propres pratiques de changement.

Depuis 2013, nous explorons cette voie et ces pratiques novatrices à travers le développement du programme BASE (Bouddhisme, Action Sociale et Engagement). Plus les années passent, plus nous sommes convaincus de sa pertinence pour les temps actuels. Les années 2017/2018 marquent une transition dans notre travail avec la mise en place de nouveaux groupes. J’ai récemment enregistré une émission consacrée au programme BASE pour Sagesses bouddhistes (France 2) qui devrait être diffusée prochainement et qui permettra sans doute d’atteindre d’autres personnes. Comme déjà plusieurs d’entre vous nous sollicitent pour mettre en place des groupes ou simplement témoignent de leur intérêt ou nous soutiennent, nous proposons deux rendez-vous dans les mois à venir :
- Un atelier à Paris le samedi 23 juin 2018 après-midi intitulé «Le bouddhisme engagé aujourd’hui». Cet atelier permettra de faire un tour d’horizon du développement du bouddhisme engagé en France et d’offrir un retour sur les diverses expériences du programme BASE menées depuis 2013.


- Deux jours de formation à l’animation des groupes BASE les 8 et 9 septembre 2018. Avec le développement des groupes, il nous semble utile de proposer une formation pratique qui permette notamment d’en comprendre les enjeux et d’intégrer les pratiques proposées. La formation est actuellement prévue au Mans (dans la Sarthe), mais s’il y avait beaucoup d’inscrits, nous serions susceptibles de déplacer cette formation, par exemple à Paris. Si vous êtes intéressé(e), inscrivez-vous dès aujourd’hui.

De nouvelles occasions de se voir ou se revoir, et d’avancer ensemble dans le chemin de la transformation. Je vous remercie de votre lecture et de votre attention.


Jiun (Éric Rommeluère)

Prendre soin du monde Version imprimable

J’étais à Lyon vendredi et samedi dernier pour la première étape d’une tournée consacrée aux pratiques d’éveil du bouddhisme engagé. Ces pratiques suscitent parfois une certaine gêne dans les auditoires bouddhistes. Deux arguments reviennent de façon récurrente qui, de mon point de vue, signent une difficulté à penser les métamorphoses nécessaires. Le premier : Prendre soin du monde (l’engagement) n’est pas une réponse appropriée, il suffirait de méditer pour que tous les changements adviennent. Le second : la pratique du dharma n’a rien à voir avec l’engagement.

L’argument de la méditation qui sauverait le monde a parfois les accents de la pensée magique ; en tout cas, il relève d’une incompréhension des mécanismes de la fabrication des violences actuelles. Cette incompréhension est naturelle. Dans sa fuite en avant, le système marchand secrète une violence destructive, mais en même temps il a besoin de produire les conditions d’ignorance des mécanismes en jeu et/ou de juguler les pensées alternatives. Je suis frappé comme nombre de personnes que je rencontre, plutôt des méditants d’ailleurs, témoignent de plus en plus spontanément d’une réelle souffrance au travail. Leur vie est saturée de souffrance. Ils peinent. Le système, lui, ne médite pas, pas plus que Monsanto ou d’autres entreprises qui endommagent la Terre et tous les êtres qui vivent. Dans leur vision totalitaire, la méditation est maintenant utilisée comme un nouvel outil de protection au service de la violence des systèmes. Ils disent : ce n’est pas nous le problème, c’est vous le problème, si vous étiez plus adaptatif, tout irait bien. Je le crois, nos réponses doivent être autrement lucides et engagées, tout en puisant dans la non-violence et la bienveillance. Bienveillance et engagement ne sont pas contradictoires, bien au contraire.

Le second argument mérite une réelle attention puisqu’il touche à la signification même du dharma. De nombreux bouddhistes envisagent les enseignements du Bouddha comme un système dogmatique, où ma souffrance s’expliquerait par mes réincarnations passées. Tout se passe dans ma tête et l’extériorité n’est que la manifestation de mes névroses intérieures. Effectivement, dans ce cas, un engagement dans mon environnement ne ferait pas beaucoup sens. À l’inverse, d'autres envisagent le dharma comme un dispositif de changement dont les principes directeurs sont l’amour et la compassion (alléger la souffrance et relever les causes de la souffrance) ; m’engageant dans le monde, je me métamorphose et il se métamorphose. Ces deux visions ont toujours coexisté dans le bouddhisme et son histoire est aussi le fruit de cette tension. Vous l’aviez compris, j’ai déjà fait mon choix.

L'application de la justice restaurative en France Version imprimable

Cher.e.s ami.e.s,

Certains d’entre vous le savent, je suis membre de la Plateforme Française pour la Justice Restaurative créée en 2013 afin de promouvoir la justice restaurative en France. La Plateforme réunit des professionnels de justice, des aumôniers en milieu carcéral, des criminologues, des juristes, des spécialistes de l’aide aux victimes et des chercheurs.

Mon récent article
consacré à la circulaire ministérielle du 15 mars 2017 relative à la mise en œuvre de la justice restaurative est désormais en ligne sur le site de l'Institut Français pour la Justice Restaurative (cliquez sur le lien). Il a également été relayé par l'European Forum of Restorative Justice. L'article, qui analyse et discute la circulaire ministérielle, s’adresse plutôt à des personnes qui ont déjà une bonne connaissance des enjeux de la justice restaurative : les professionnels de justice (magistrats, conseillers pénitentiaires d'insertion et probation, etc.), les chercheurs et bien sûr les "restauratifs". 

Vous pouvez le
télécharger au format pdf.
Il peut être librement diffusé (licence Creative Commons). Toute remarque sera la bienvenue.


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8 avril 2017, une vidéo rétrospective Version imprimable

Le 8 avril 2017, la journée de pratique et de partage «Le bouddhisme en action» offerte à Paris marquait la naissance officielle du réseau BASE, un réseau informel de bouddhistes engagés, ainsi que la fondation de la communauté Les Mille Mains qui réunit en son sein des étudiants de la Voie du Bouddha qui œuvrent au quotidien à travers cinq engagements. Le 8 avril est au Japon le jour de la célébration de la naissance du Bouddha, le jour également des enfants et de la fête des fleurs.

Quatre-vingts personnes participaient à cette journée fondatrice qui s’est déroulée au Forum104, un espace de rencontre culturel et interspirituel au cœur de Paris. Plusieurs intervenants s’étaient également joints pour partager leurs expériences : le pasteur Brice Deymié, aumônier national des prisons pour la Fédération Protestante de France ainsi que Michel Dubois, enseignant dans la tradition zen, aumônier en milieu carcéral. La journée était co-animée par Jocelyn Mayaud et Éric Rommeluère, enseignant dans la tradition zen.

Dans cette vidéo, vous retrouverez quelques temps forts de cette journée avec des explications de Jocelyn Mayaud et d’Éric Rommeluère.


Le bouddhisme n’est-il pas censé être apolitique ? Version imprimable

L'élection du très provocateur Donald Trump à la présidence des États-Unis suscite de nombreuses réactions dans les milieux bouddhistes américains. Quelle attitude adopter face à une politique ouvertement anti-féministe, anti-immigrants et qui fait la part belle aux climatosceptiques (entre autres) ?

Depuis plusieurs semaines, un article de Jiryu Rutschman-Byler est largement commenté. Il y appelle en effet la communauté bouddhiste américaine à "résister à Trump". Jiryu est un maître zen de la lignée de Shunryu Suzuki qui vit actuellement au centre zen de Green Gulch Farm en Californie. En décembre dernier, il publie un premier billet sur son blog personnel No Zen in the West. Après avoir reçu de nombreuses lettres et messages, il remanie son texte et le publie dans le magazine bouddhiste en ligne Lion's Roar début janvier.



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Sagesses Bouddhistes (25 septembre 2016) Version imprimable

J’étais à nouveau accueilli par l’émission Sagesses Bouddhistes pour évoquer cette fois-ci les promesses de la Justice Restaurative, une autre façon de rendre et de vivre la justice. L’Union Bouddhiste de France, les producteurs me font confiance pour parler de ces sujets, et c’est heureux. À chaque fois, je me dis que je devrais amener une caméra pour filmer les coulisses de l’émission et puis j’oublie. Tout paraît simple, deux personnes qui devisent nonchalamment, mais non pas du tout! Il fait chaud, très chaud sur le plateau, un spot lumineux est pointé sur le visage de l’intervenant pour adoucir ses traits, le spot aveugle, on ne voit plus que le ballet des lumières vertes des cinq ou six caméras qui tournent autour du plateau, la chaise étroite empêche tout mouvement des jambes et du buste, et puis l’émission est tournée dans les conditions du direct, on ne la refait pas! Oupps, après débrouillez-vous, soyez zen... Heureusement, l’équipe est toujours chaleureuse. Sandrine Colombo avait longuement préparé cette émission, avait aussi participé à une soirée organisée par la Plateforme Française pour la Justice Restaurative pour comprendre tous les enjeux de la Justice Restaurative.



Dans le prolongement de cette émission, j’animerai une soirée à Paris le 4 octobre prochain sur l’engagement avec les membres de la
Communauté Patience et douceur. Elle est ouverte à toute personne sensible à l’engagement et à la mise en pratique du dharma dans la vie quotidienne. La soirée aura lieu à l’atelier Papillon, 80 rue Philippe de Girard 75018 Paris. L’accueil se fera à partir de 19 h et débutera par un temps de silence partagé à 19 h 30. La participation est libre et consciente. Compte tenu du nombre limité de chaises, pensez à en réserver une par mel à l’adresse paris [arobase] zen-occidental.net. Merci.

Par ailleurs, je suis à la disposition de toutes les personnes qui souhaiteraient réfléchir sur la création d'un
service de Justice restaurative en Sarthe-Mayenne, ma région d’adoption.

Justice restaurative et communauté Version imprimable

Voici le texte de l'intervention que j'ai donnée dans le cadre du colloque organisé par la Plateforme Française pour la Justice Restaurative, « Rompre avec le crime et la délinquance pour combattre la récidive ? Désistance, justice restaurative et communauté » et qui s'est tenu le 28 mai 2015 à la Maison du Barreau à Paris.

Dans le colloque intervenaient également Brice Deymié (aumônier national protestant des prisons), Robert Cario (
professeur émérite de criminologie à l'Université de Pau, président de l'Institut Français pour la Justice Restaurative), Frieder Dünkel (professeur de criminologie et de droit pénal à l'Université de Greifswald, Allemagne), Astrid Hirschelmann (maître de conférence en psychopathologie et criminologie, directrice adjointe du centre interdisciplinaire d’analyse des processus humains et sociaux, Université Rennes 2), Katrien Lauwaert (chercheuse principale à l’Université de Criminologie de l’Université de Leuven et au European Forum for Restorative Justice, Belgique), Paul Mbanzoulou (directeur de la recherche et de la documentation, École Nationale d’Administration Pénitentiaire), Penny Parker (juriste, responsable pour l’Angleterre et le pays de Galles du programme de justice restaurative Sycamore Tree). Vous pouvez lire un premier compte rendu en cliquant sur le lien. Les interventions filmées seront bientôt diffusées.

La Plateforme Française pour la Justice Restaurative a été créée en 2013 afin de promouvoir la justice restaurative en France. Elle regroupe des professionnels de justice, des aumôniers en milieu carcéral, des criminologues, des juristes, des spécialistes de l’aide aux victimes et des chercheurs.


De gauche à droite : Paul Mbanzoulou, Éric Rommeluère, Brice Deymié et Robert Cario.



Justice restaurative et communauté

La loi du 15 août 2014

La Loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales1 et plus particulièrement les dispositions relatives à la contrainte pénale ont suscité, des mois durant, des débats passionnés. Pour reprendre les termes d’une analyse de Robert Badinter et de Pascal Beauvais, la contrainte pénale, cette nouvelle peine en milieu ouvert, a instauré « un nouveau paradigme de justice pénale dans lequel la peine est moins un châtiment ponctuel et définitif, infligé en rétribution d’une faute, qu’un régime continu de contrôle et d’évaluation de la personne condamnée2. »

L’inscription, dans cette même loi, de mesures dites de justice restaurative à tous les stades de la procédure pénale participe également d’un nouveau regard sur le sens de la peine, ce qui n’a pas ou peu été relevé jusqu’à présent. Dans l’esprit du législateur, cette inscription visait en premier à conformer le droit français à la directive de 2012 du Parlement Européen relative à la protection, aux droits et au soutien dû aux victimes3, mais à l’évidence, il y a un effet de congruence dans l’ensemble des dispositions de cette loi d’août 2014. Une promesse se fait jour.

Au sens de la loi, il faut entendre par mesures de justice restaurative, des dispositifs où auteurs d’infraction et victimes participent activement à « la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission4. » La formulation qui peut, au premier abord, paraître obscure permet d’embrasser un éventail de dispositifs qui ont des modalités d’application parfois fort différentes. Pour l’instant, les expérimentations françaises se sont limitées à trois types de dispositifs :
-    Les rencontres détenus-victimes, où participent des personnes détenues et des personnes victimes qui ne se connaissent pas et qui ne sont pas concernées par la même affaire ;
-    Les  rencontres condamnés-victimes, sur le même principe, mais avec des personnes condamnées qui exécutent leur peine dans le cadre d'une mesure de probation ;
-    Les cercles de soutien et de responsabilité où des personnes sorties de détention sont accompagnées dans leur réinsertion.


Les mesures de justice restaurative

Mais la justice restaurative ne se limite pas au seul cadre de la procédure pénale. Des dispositifs similaires peuvent être proposés pour résoudre des conflits interpersonnels, soit qu’ils n’entraînent pas de procédure soit qu’il s’agisse de conflits intersociaux qui mettent en présence des groupes et non des individus. Cette apparente hétérogénéité tient au fait qu’il ne s’agit pas de procédures autonomes, mais des mises en acte d’un autre paradigme de justice qui s’exprime là de façon plurielle. Quelle que soit leur forme, ces dispositifs sont avant tout des espaces de parole. On ne peut néanmoins les appréhender comme de simples exercices cathartiques dans des moments où la parole défaille ou fait défaut. La justice restaurative est en effet une vision engagée. Elle revendique une restauration à la fois personnelle et sociale des personnes et les dispositifs sont pensés comme tels.

La justice restaurative a déjà une longue histoire dans les pays anglophones, avec des appréciations diverses, notamment sur la compatibilité ou l’incompatibilité entre justice restaurative et justice pénale. Les restauratifs réunis au sein de la Plateforme Française pour la Justice Restaurative ne considèrent pas la justice restaurative comme une alternative à la justice pénale, mais comme une façon d’interroger la justice dans ses formes actuelles : déjà, non pas que devons-nous faire du criminel, mais que devons-nous faire pour la victime ? Les dommages psychologiques ou relationnels sont-ils opaques à la justice ? La peine remplit-elle son rôle de réparation symbolique ? La peine est-elle la seule forme de réparation possible ? La peine a-t-elle pour fonction de rétablir les individus dans les normes existantes, avec toute la puissance coercitive requise ? Enfin, comment est-il possible de laisser émerger toutes ces questions ? La Plateforme Française pour la Justice Restaurative entend susciter un débat collectif où toutes ces questions pourront être posées.


La communauté


L’originalité, sinon l’essence de la justice restaurative est la place qu’elle accorde à la communauté. En pratique, les rencontres détenus-victimes ou condamnés-victimes ne sont pas des dispositifs de dialogues entre auteurs d’infraction et victimes en présence d’un tiers facilitateur ou d’un médiateur quel que soit le titre que l’on donne à ce professionnel, mais des trilogues où la parole est également donnée à un ou des « membres de la communauté ».

De tels dispositifs sont des adaptations d’anciennes pratiques de justice ou de résolutions des conflits au sein de communautés où des hommes et des femmes partageaient des liens étroits culturels ou d’affection (à l’exemple des cercles de détermination de la peine mis en place dans les années 1980 dans les communautés autochtones canadiennes). La communauté tout entière se sentait concernée par les conflits et participaient à l’œuvre de justice. Dans ses formes adaptées, la justice restaurative s’applique à une variété de conflits et de contextes. Les notions de communauté, de restauration des personnes et des liens sociaux fait immédiatement sens dans certains contextes, par exemple en milieu scolaire. Un conflit peut  affecter la vie sociale de toute une classe, voire d’une école. Les élèves, les familles, les professeurs, tous se sentent concernés. Des mesures de justice restaurative peuvent alors être mises en place où la communauté – l’ensemble des personnes concernées directement ou indirectement par ces difficultés – témoignera à la fois de son souci et de sa volonté de les résoudre.

Mais si l’on dépasse le cadre de communautés locales ou d’intérêts, cette notion de communauté peut-elle encore faire sens au sein d’un État-nation ? Ce terme est-il simplement un autre mot pour dire la société, avec plus de chair, d’épaisseur ou d’humanité ? Son emploi relève-t-il d’une mécompréhension du politique ou bien, au contraire, d’une espérance ?

Les restauratifs s’interrogent sur ce qui fait société, qu’il s’agisse de formes instituées ou non, comment les liens sociaux, se font, se défont et se restaurent. Dans le mot de communauté, on entend le commun, c’est-à-dire ce qui nous lie les uns aux autres hors de toute volonté propre mais également une forme sociale ou politique ordonnée par ce commun. Dans le cadre des mesures de justice restaurative telles qu’elles sont désormais instituées par la loi française, la communauté n’est sûrement pas une communauté de langue, de culture ou d’histoires partagées ; ce n’est pas non plus une communauté locale ou d’intérêts ; ce n’est pas la société civile, au sens d’une appartenance citoyenne où chaque individu est un sujet de droits et de devoirs ; la communauté n’est pas plus définie par la conception politique d’un bien commun. Les diverses recommandations du Conseil de l’Europe parlent, elles, de « sanctions et de mesures appliquées dans la communauté », autrement dit en milieu ouvert par opposition au milieu fermé de l’emprisonnement, mais ce qui fait communauté n’y est pas pensé.

Si l’on entend par communauté le simple tissu social, on manque l’originalité de la justice restaurative qui appelle à une certaine posture existentielle, éthique et sociale. Dans ces différentes pratiques (ou mesures), chaque participant se sent interpellé – affecté serait plus juste – par quelque chose d’autre qu’une communauté de langue, d’histoire, de culture, de droits, de devoirs ou même de conceptions. Quel est cet autre, si ce n’est la vulnérabilité qui fait le socle commun de nos existences ? Nous sommes vulnérables ; quels que soient les contextes, et les formes de ces pratiques, je crois que la justice restaurative nous invite à ressentir cette dimension de l’existence, à penser et à agir à partir d’elle.

La vulnérabilité n’est pas la simple précarité face au temps qui passe, aux maladies, à la faim ou à la soif, il s’agit d’une vulnérabilité face à la violence d’autrui. La violence n’est pas la seule agression physique ; le jugement, le déni, le mépris, le rejet, l’humiliation, l’exclusion sont d’autres formes. Je suis vulnérable à autrui tout comme autrui m’est vulnérable. Je peux l’assujettir par la violence ou au contraire je peux m’engager auprès de lui sous le mode de l’écoute et de la sollicitude. Reconnaître la vulnérabilité et en prendre soin est déjà une manière de faire société, que nous partagions la même langue ou non, la même culture ou non, la même citoyenneté ou non, les mêmes conceptions ou non. Certes, dans les pratiques de justice restaurative, la vulnérabilité n’est pas immédiatement pensée comme un fondement éthique, mais elle est là, toujours implicite, lorsque sont questionnés tout au long du processus restauratif les besoins de chacun, les victimes et les auteurs d’infraction.

Aujourd’hui, cette reconnaissance de la vulnérabilité est rendue opaque par le pouvoir normatif de la performance et de la compétitivité. Ceux qui subissent trop le poids de leur vulnérabilité deviennent vite hors-jeu. La justice pénale, dans ses formes pratiques et théoriques, est un cadre étroit qui ne permet pas de penser la vulnérabilité, sinon de façon accessoire. La justice restaurative, quant à elle, permet de restaurer une vision de la vulnérabilité, de la considérer, de la prendre compte et qu’elle fasse sens socialement.

Le terme de communauté n’est toujours pas défini. Il résiste en fait à toute assimilation. Ce n’est ni l’identité communautaire, ni la nation, ni la société civile, ni le tissu social. Son utilisation exprime l’espoir qu’une société puisse se penser différemment. La violence n’est pas simplement interpersonnelle, elle est également produite par le corps social qui peut lui aussi endommager, humilier et exclure. En tant qu’individu, nous sommes constamment interpellés par la violence sociale, par la violence légitimée : Qu’est-ce qui est acceptable ? Qu’est-ce qui est souhaitable ? À l’inverse, une société peut également restaurer, élever, inclure. Chacun de ses membres peut être appelé à se vivre comme un membre de la communauté, où ce qui est commun le rend responsable et l’engage.

Dans les pratiques de justice restaurative, l’individu-citoyen, ordinairement simple spectateur du processus de justice, prend une autre posture. En tant que membre de la communauté, il devient non seulement le témoin mais également le soutien d’un processus restauratif. Il participe à l’œuvre de justice ; il ne rend pas la justice, mais il prend soin de la justice. C’est une autre vision de l’être social.


Conclusion

La justice restaurative peut être décrite comme un dispositif social qui a ses pratiques et ses règles instituées, « les mesures ». Une telle présentation présente un risque, celle de restreindre la justice restaurative à une dimension utilitaire : dans le cadre du processus pénal, elle servirait à prévenir la récidive, à favoriser la désistance, ou si l’on se situe dans l’infra-pénal, elle ne serait qu’un autre mode de résolution des conflits ; elle se résorberait alors dans une technique quelle que soit sa pertinence ou sa valeur. Je le crois, la justice restaurative doit être appréhendée autrement, non seulement comme une pratique mais comme une façon nouvelle de faire société, dans sa dimension existentielle et éthique d’être ensemble et jusque dans ses formes sociales. La communauté, ce mot qui interpelle, nous invite à repenser : qu’est-ce qui nous lie et qui permet de faire advenir une société ?


Notes

1. Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.
2. Robert Badinter et Pascal Beauvais, « À propos de la nouvelle réforme pénale », Dalloz Actualités, 29 septembre 2014.
3. Directive 2012/29/UE du Parlement Européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil.
4. Loi n° 2014-896, chapitre III, article 18.


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Une justice qui restaure (II) Version imprimable

Après l’Assemblée Nationale, le Sénat a adopté ce 26 juin le projet de loi «tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales». Ces derniers mois, les deux mesures phares de la réforme pénale, la suppression des peines planchers et la création de la contrainte pénale, ont retenu toute l’attention, laissant dans l’ombre d’autres propositions, notamment celle qui prévoit la mise en place de mesures de «justice restaurative». Lors des séances publiques et à l’initiative du gouvernement, les députés ont en effet introduit un nouvel article dans le Code de Procédure Pénale. Sa rédaction a été amendée par les sénateurs sous la forme suivante :

« Art. 10‑1. – À l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, les victimes et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative.
« Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu’après que la victime et l’auteur de l’infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer. Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l’administration pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire entre les parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République. »


Sous le terme de mesures de justice restaurative, le projet de loi entend différentes procédures de médiation (les rencontres victimes et auteurs d’infraction) ou la mise en place de groupes de soutien (les cercles de soutien et de responsabilité pour les condamnés). Pour les victimes, leurs proches, comme pour les auteurs d’infraction, ces pratiques permettent de poser une parole sur un acte, leurs dommages et leurs conséquences. En France, les expérimentations sont rares, peu connues, malgré les efforts et la pédagogie de professionnels de la justice, d’associations, de chercheurs ou plus récemment de la Plateforme pour la justice restaurative, créée fin 2013 afin de promouvoir une autre vision de la justice dans l’espace public. L’ajout de l’article lors des séances publiques à l’Assemblée Nationale a d’ailleurs laissé indifférent la plupart des observateurs. Parmi les formations politiques, seul le groupe Ecologiste s’en est fait l’écho et le soutien appuyé.

Avec cette disposition qui sera ainsi inscrite dans la loi, la France se conforme aux préconisations de la directive du Parlement européen du 25 octobre 2012 qui établissait des normes minimales concernant le droit, le soutien et la protection des victimes. Les évaluations menées dans plusieurs pays pionniers comme le Canada ont montré les multiples impacts positifs de ces mesures de justice restaurative, notamment en matière de récidive. Les participants témoignent qu’ils sont reconnus par les autres parties en présence, y compris par les structures sociales et juridiques, dans leurs souffrances, dans leur intégrité morale et psychique, mais aussi dans leur citoyenneté, et qu’ils peuvent ainsi aborder autrement leur avenir. La directive européenne avait reconnu toute la pertinence de ces mesures tout en cherchant à les encadrer.

Lors des débats au Parlement, certains députés ont néanmoins exprimé leur scepticisme et leur incompréhension, s’interrogeant sur ce que l’on restaurait et ce que l’on réparait lors de ces rencontres. Ces dispositifs ne peuvent être pleinement appréciés sans poser a minima la question du sens de la peine. La justice restaurative ne se réduit pas en effet à de simples procédures, elle affirme aussi une autre vision de la justice qui se démarque de la logique punitive. Trop vite, nous oublions ce que signifie punir, à la fois dans les mots et dans les actes : Punir, c’est faire souffrir. Mais dans une société moderne, soucieuse du vivre-ensemble, la souffrance, infligée de manière légitime et espère-t-on proportionnée, est-elle toujours appropriée, que l’on se place du point de vue social, du point de vue politique ou du point de vue éthique ? Peut-on inventer une autre façon de sanctionner – il ne s’agit en effet ni d’excuser ni de minimiser, encore moins d’absoudre l’infraction – tout en permettant de réparer les liens et les personnes ? Le besoin de justice exige-t-il seulement ou nécessairement une réparation matérielle, une peine qui a sa mesure et sa comptabilité, ou requiert-il d’abord la restauration de l’intégrité blessée et meurtrie ? Ce sont là quelques-unes des questions fondatrices que soulève la justice restauratrice.

Howard Zehr, professeur de justice restaurative dans une université mennonite américaine et l’artisan de ces réflexions aux États-Unis, a intitulé l’un de ses ouvrages Changing lenses: A New Focus for Crime and Justice («Changer de lentilles. Un nouveau regard sur la criminalité et la justice»). La justice restaurative propose en effet de modifier notre regard sur les infractions, ce qu’elles signifient en termes de fractures individuelles et sociales. Dans son approche pratique, elle considère en premier les besoins et les demandes de tous les acteurs en présence, les victimes, les auteurs de délits et de crimes, mais également ceux de la société dans sa dimension instituante. Dans sa mise en œuvre, à travers des processus comme les rencontres ou les cercles de soutien, la justice restaurative accorde ainsi une place déterminante à la personne tierce qui intervient dans le processus de rencontre. Si celle-ci est formée à la médiation et facilite une parole, elle n’est pourtant ni un médiateur ni un facilitateur. Elle agit d’abord comme le représentant de la communauté. Elle doit être présentée et perçue comme tel par toute les parties, de sorte que les victimes, leurs proches, les auteurs de délits ou de crimes savent qu’ils ne sont en rien exclus de la communauté. Si les liens sont brisés, si les personnes sont affectées, leur avenir ne peut se construire que dans un vivre-ensemble sain et restauré. La collectivité et les institutions en sont le garant.

Saluons donc cette inscription dans la loi des mesures de justice restaurative qui œuvrent à une transformation des représentations sociales et des pratiques de la justice (comme la contrainte pénale d’ailleurs) même si nombre de préjugés devront encore tomber. Reste cependant un point non débattu par les députés et les sénateurs, puisque le projet de loi prévoit que les mesures seront « mise(s) en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet.» La formation et le financement relèvent logiquement du devoir communautaire. Espérons donc que la puissance publique soutiendra concrètement le développement de la justice restaurative en France.

Pour aller plus loin :
- Howard Zehr, La justice restaurative. Pour sortir des impasses de la logique punitive, Genève, Labor et Fides, 2012.
- Robert Cario, La justice restaurative. Principes et promesses, Paris, L’Harmattan, 2010.

Un article également publié sur le site du Huffington Post.

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Une justice qui restaure Version imprimable

Défendu par Madame Taubira, le projet de loi sur la prévention de la récidive et l’individualisation des peines (rebaptisé le 27 mai dernier projet de loi tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales) sera discuté en séance publique à l’Assemblée Nationale à compter du mardi 3 juin. L’une des mesures phares de ce projet, la contrainte pénale, sera sans doute âprement débattue. Avec cette forme inédite de peine étendue à tous les délits, l’emprisonnement ne sera plus la seule réponse offerte au juge. Désormais, celui-ci pourra prononcer un certain nombre d’obligations, d’interdictions voire une injonction de soins. La contrainte pénale est bien entendu pensée dans la perspective d’une réinsertion du condamné au sein de la communauté. Ses détracteurs n’y voient qu’un sursis avec mise à l’épreuve qui ne dirait pas son nom et qui servirait à désengorger les prisons françaises, pire la porte ouverte à l’impunité, le laxisme de l’État, ce qui est pourtant loin de l’esprit et des mesures proposées dans ce projet. L’enjeu sera donc de donner une consistance à cette mesure de contrainte pénale, qu’elle soit perçue et vécue comme une condamnation exécutée au sein de la communauté.

Le débat ainsi posé permet de repenser le sens de la peine dans une société démocratique qui aspire, par nature, à intégrer chacun de ses membres dans la vie sociale et civique. À l’évidence, cette «loi Taubira» porte en elle les ferments d’une nouvelle justice, une justice en acte qui ne se contente pas de sanctionner, de favoriser la reconstruction et la réinsertion des auteurs de délits, mais aussi de restaurer. Le projet de loi propose d’insérer un nouvel article au Code Pénal ainsi rédigé : «Afin d’assurer la protection effective de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des droits reconnus à la victime, la peine a pour fonctions : 1° De sanctionner le condamné ; 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. » «Restaurer», le mot est là, sans doute inspiré au rédacteur par la justice restaurative, et sera sûrement entendu.

Née outre-Atlantique voici quelques dizaines d’années, mais encore mal connue en France, la justice restaurative (restorative justice en anglais, parfois traduite par justice réparatrice) offre une autre approche que la justice punitive. La justice restaurative prend en considération les auteurs, les victimes, leurs proches mais aussi la communauté. Elle vise à les restaurer dans leur intégrité et dans leurs liens sociaux afin leur permettre, malgré tous les dommages, subis ou causés, de se reconstruire. Ce n’est pas une justice de l’excuse ou de la démission. C’est une justice soucieuse de l’avenir.

Dans le cadre de la justice pénale, la justice restaurative s’appuie sur des pratiques concrètes, comme la rencontre des personnes concernées dans le cadre d’une médiation pénale en face à face, les rencontres condamnés-victimes ou la mise en place de cercles de soutien pour les personnes libérés en fin de peine. Ces dispositifs font l’objet de procédures strictes et encadrées, dans le plein et entier respect des victimes notamment. Ces diverses mesures peuvent être prononcées à tous les stades du processus pénal et lors de l’application de la peine. Le Canada a été un pays pionnier en la matière. Dans ce pays, les résultats notamment en matière de récidive sont probants (voir notamment les analyses et données du Service Correctionnel Canada, équivalent de l’Administration Pénitentiaire en France). En 2000, les premières médiations entre détenus et victimes étaient organisées au sein de différents établissements pénitentiaires en Belgique. Les premières expériences pilotes ont été reconnues comme suffisamment concluantes pour qu’en 2005, la Belgique introduise dans son Code de Procédure Pénale et dans son Code d’instruction Criminelle, des dispositions relatives à la médiation relevant de la justice restaurative.

Les expériences menées en France sont encore trop parcellaires : rencontres détenus-victimes à la Centrale de Poissy en 2010 et 2014, cercles de soutien récemment mis en place par le Service Pénitentiaire de Probation et d’Insertion des Yvelines. De nombreux professionnels de justice, des chercheurs, des associations attendaient plus que le simple mot de «restaurer» dans le projet de loi sur la prévention de la récidive et l’individualisation des peines, et que s’inscrive maintenant dans la loi le principe du recours aux mesures de justice restaurative à l’exemple de la législation belge. Dans quelques jours, peut-être.

L'article est également publié sur le site du Huffington Post.


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La Plateforme Française pour la Justice Restaurative Version imprimable

Communiqué

Dans de nombreux pays, l’intérêt pour la
Justice restaurative s’est considérablement accru, en dehors et au coeur même du champ pénal, selon la nature et la gravité des conflits interpersonnels. La Justice Restaurative permet, avec la participation de la communauté, l’accompagnement de la peine, la restauration de la victime et de l’infracteur et la reconstruction du lien social.

Les mesures que la Justice restaurative promeut, susceptibles d’être prononcées à divers stades du processus pénal et lors de l’application de la peine, reposent sur la rencontre des personnes concernées par le crime ou le délit dans le cadre d’une médiation pénale en face à face, d’une conférence du groupe familial, d’un cercle de détermination de la peine, de rencontres condamnés-victimes ou encore de cercles de soutien et de responsabilité. Ces mesures, multiples, nécessitent la réunion de conditions précises en termes de consentement et de participation des personnes concernées. Leur mise en oeuvre suppose également la présence de tiers formés spécifiquement pour accompagner les participants. En effet, la Justice restaurative est tout sauf de l’improvisation et de la précipitation.

Les évaluations scientifiques de ces mesures sont particulièrement éloquentes, pour la plupart des participants, en termes : de satisfaction quant à la justice, de reconnaissance de leurs souffrances ; d’améliorations notables de leur état de santé physique et psychique ; de reconquête de l’estime de soi, de responsabilisation ; de diminution notable de la « peur du crime » ; de facilitation du travail des magistrats eux-mêmes ; d’accomplissement effectif des accords négociés ; de moindre récidive ou encore de moindre coût.

Nous devons renforcer cette harmonieuse complémentarité entre traitement –pénal – des conséquences et prise en compte – restaurative – des répercussions du crime.

Cependant, ce n’est que depuis quelques années que la question restaurative fait timidement irruption dans notre pays. Un rapport de 2007 du Conseil National de l’Aide aux Victimes et des colloques, organisés par l’
INAVEM en 2008 et 2012, puis par la Fédération Protestante de France en 2013, ont permis de faire connaître les principales modalités de la justice restaurative. Quelques expériences ont en outre été menées : rencontres détenus victimes à Poissy en 2010 et 2014, cercles de soutien et de responsabilité mis en oeuvre par le SPIP des Yvelines et quelques rencontres en milieu ouvert.

Force est néanmoins de constater qu’aucune expérimentation de grande envergure n’a eu lieu dans notre pays. Aujourd’hui pourtant, la directive du Parlement européen et du conseil du 25 octobre 2012 nous oblige à prévoir la mise en oeuvre de services de justice restaurative, et la garde des Sceaux ellemême souhaite que le principe de la justice restaurative soit intégré dans le code de procédure pénale.

C’est dans un tel contexte que la Plateforme Française pour la Justice Restaurative est née, en septembre 2013, sous l’impulsion de l’Aumônerie des prisons de la Fédération Protestante de France.

À ce jour, les membres en sont :
Sabrina Bellucci (directrice de l’INAVEM)
Brice Deymié (aumônier national de la Fédération Protestante de France)
Robert Cario (président de l’Institut Français pour la Justice Restaurative)
Marc Génin (aumônier orthodoxe)
François Goetz (directeur d’établissement pénitentiaire)
Christophe Hahling (pasteur, aumônier)
Silvie Hege (théologienne ménonnite)
Pascal Hickel (pasteur aumônier)
Arnaud Latscha (médiateur)
Vincent Leclair (aumônier national catholique)
Hans Lefebvre (Conseiller d’insertion et de probation)
Mathilde Mansourian (INAVEM)
Paul MBbanzoulou (Directeur de la recherche et de la documentation ENAP)
Frédéric Rognon (professeur de philosophie, Strasbourg)
Éric Rommeluère (ancien coordinateur des aumôneries bouddhistes)
Arnaud Stolz (pasteur, aumônier régional Strasbourg)
Pierre-Victor Tournier (chercheur au CNRS)
Marion Trotignon (criminologue)

Les ambitions de la Plateforme sont les suivantes :
1. Être un interlocuteur de référence des pouvoirs publics pour faire valoir le bien-fondé de la Justice restaurative.
2. Participer à la réflexion sur le sens des crimes et délits et le sens de la sanction.
3. Promouvoir un débat sur toutes ces questions dans l’espace public.
4. Sensibiliser les acteurs du travail social, de la sécurité, de la justice et du soin à l’intérêt de la Hustice restaurative, ses principes et ses garanties de mises en oeuvre.
5. Promouvoir la formation des acteurs (professionnels et bénévoles) des rencontres restauratives : médiations, conférences et cercles restauratifs, rencontres condamnés-victimes, cercles de soutien et de responsabilité.
6. Permettre une démultiplication des rencontres restauratives au sein des établissements pénitentiaires comme dans la communauté, par une mise en commun de nos réseaux.

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L'amour est politique Version imprimable

Un texte inspirant reçu pour le nouvel an de Jean-Pierre Cavalié et Françoise Rocheteau. Françoise Rocheteau et Jean-Pierre Cavalié sont délégués régionaux de la Cimade en région PACA. Reproduit avec leur aimable autorisation.

Récemment, une amie m’a soutenu qu’une affiche invitant à l’amour et la paix entre les humains, n’avait pas sa place dans une manifestation, car elle n’était pas politique. Est-ce bien sûr ? Certes, l’amour est LA dimension intime par excellence, mais il n’aime pas être enfermé et il ouvre toutes les portes pour irriguer la vie. Il est comme le sel dans la soupe, le sucre dans le dessert.
Dans le domaine du droit, l’amour c’est la justice et la bienveillance ; en économie, c’est l’équité et le partage ; dans l’éducation, c’est la disponibilité ; au travail, c’est l’attention ; dans le domaine social, c’est la solidarité ; dans l’art, c’est l’esthétique ; dans la spiritualité, c’est l’harmonie…
Et la politique alors ? La seule qui mérite ce beau nom est celle qui est empreinte d’amour, celle qui consiste à servir et non se servir, celle qui fait des rêves et non de sombres calculs, celle qui espère plus qu’elle ne compte. Car la politique sans amour conduit irrémédiablement au chapelet des dominations qui encombrent l’histoire.
Une société aimante est l’antithèse de la société publicitaire et commerçante où tout se vend et tout s’achète, objets, nature, services, jusqu’aux fonctions les plus importantes… et même l’amour ; si ce n’est qu’en lui mettant un prix, on le prostitue ; on le tue, à l’instar des coquelicots que l’on cueille.
Aimer, c’est se reconnaître en l’autre et reconnaître l’autre en soi ; c’est désirer vivre ensemble et y trouver du plaisir. Comment ne serait-il pas la source de toute vie sociale ? Certes,  l’amour est une gamme avec laquelle chacun-e compose ; d’une certaine manière, il façonne une société symphonique et harmonieuse. Car l’amour n’est pas une obligation, mais une liberté et peut-être à la base de toutes les libertés : « aime et fais ce que tu veux ! ». Il est le cœur d’une société libre.
Il est temps de cesser de « faire la politique » comme on « fait la guerre », mais avec d’autres armes. Il est temps de se mettre à  « jouer de la politique » comme on joue d’un instrument. Il est temps d’ouvrir en grand les écoles de musique de la démocratie pour y apprendre à composer des sociétés, un monde, une planète pacifique. Les sceptiques répondront que la violence est propre à la condition humaine.
Eh bien non ! Une anthropologue* soutient, preuves archéologiques à l’appui, que les seules violences attestées chez les premiers humains, sont rituelles et non guerrières. Ces dernières sont apparues avec les surplus productifs et la possibilité d’accumuler. Des sociétés pacifiques, poursuit-elle, ont existé et existent encore aujourd’hui ; elles ont deux caractéristiques : Elles sont non-hiérarchisées ou horizontales, et elles privilégient les valeurs éthiques et spirituelles sur les valeurs matérielles.
L’état de nos sociétés et de la planète, telle que l’idéologie de la violence les a façonnées, n’incite-t-il pas à tenter aujourd’hui une voie pacifique en vivant entre égaux et simplement ? Il est vrai que cela demanderait une grande richesse intérieure, mais celle-là, nous l’avons tous ; elle est gratuite et se multiplie en se partageant. Alors … ?
Que l’année 2014 soit une année d’amour et de paix.


* Marylène Patou-Mathis, Préhistoire de la violence et de la guerre, Paris, Odile Jacob, 2013.

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le fait religieux en prison Version imprimable

Les 28 et 29 octobre 2013, l’Administration Pénitentiaire proposait à Paris, dans les locaux de Sciences Po qui co-organisait l’événement, deux journées d’études consacrées au fait religieux en prison (sous le titre «Le fait religieux en prison : Configurations, apports, risques»). Les journées, denses par le nombre d’interventions, privilégiaient les analyses et les réflexions de sociologues. La teneur des exposés, leur variété, la parole pondérée mais libre des chercheurs, les plaçaient naturellement dans une posture d’interrogation sinon d’interpellation des pouvoirs publics. Ces adresses n’ont évidemment pas échappé à l’ensemble des acteurs du monde carcéral présents à ces journées, l’Administration Pénitentiaire en premier. Au demeurant, la forme du programme, la libre parole des uns et des autres laissait entendre une volonté explicite de l’Administration de se laisser ainsi questionner.

Les différentes études présentées, menées en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie, en Suisse et aux États-Unis soulignaient l’hétérogénéité des approches et des traitements du religieux en prison ; elles démontraient aussi l’absence de tout modèle de référence, y compris au sein de l’Union Européenne. Dans le cadre de ces deux journées, elles permettaient particulièrement de mettre en relief le travail d’envergure conduit par trois sociologues français, Céline Béraud, Claire de Galembert et Corinne Rostaing dans les prisons françaises. Leur présentation à trois voix constituait en effet le point d’orgue de ce colloque. Leur enquête, commandée, facilitée et encouragée par l’Administration Pénitentiaire, a duré trois ans. Leur enquête de terrain s’est achevée en 2012 et a abouti à la remise d’un rapport de six cents pages intitulé «Des hommes et des dieux en prison» (non encore disponible sous forme de publication). D’emblée, les chercheurs n’ont pas souhaité réduire leurs travaux à un terrain particulier - le trop attendu «l’Islam en prison» - mais au contraire de les étendre à l’ensemble du phénomène religieux en milieu carcéral. Au croisement de toutes les représentations et de toutes les actions, la figure de l’aumônier est ainsi devenu le sujet privilégié de leur étude, les sociologues s’attachant à cerner son rôle réel, son intégration dans l’espace carcéral et les perceptions qui l’accompagnent.

La place de l’aumônier dans les prisons françaises s’est construite dans la référence au modèle catholique. Dans leurs perspectives et leur terminologie, les textes législatifs et réglementaires toujours en vigueur restent largement imprégnés de ce modèle. Au début du XXe siècle, l’aumônier était l’indispensable auxiliaire de la justice au service de la réhabilitation morale et de la conscience de la peine. Un siècle après et plus encore ces vingt dernières années, les évolutions sont réelles et notables. Elles sont évidemment liées à la sécularisation du monde contemporain, aux nouvelles représentations de l’identité ainsi qu’à l’apparition de nouvelles traditions spirituelles sur le sol français. Aujourd’hui, les aumôneries carcérales sont multi-confessionnelles, à la fois catholiques, protestantes, juives mais aussi musulmanes, orthodoxes et bouddhistes.

Dans la pratique, ces mutations reconfigurent le rôle de l’aumônier qui n’est d’ailleurs plus, dans la plupart des cas, un clerc religieux. Sa fonction n’est plus en effet de soutenir la normalisation du détenu (lui faire accepter sa peine, l’amender) mais plutôt de participer à une œuvre collective de reconstruction de l’individu, à la fois dans ses capacités et dans son identité propre. Tout autant que d’autres intervenants, il s’adresse à restaurer sa capacité d’autonomie, indépendamment même de l’origine ou du parcours religieux des personnes qu’il côtoie. Malgré les différences entres les cultes, l’étude sociologique montre que les aumôniers des différentes traditions, loin de se percevoir en concurrence adoptent en effet une pratique coopérative de soutien et d’accompagnement des individus.

À la différence du monde extérieur, dans l’espace carcéral l’homme ou la femme de religion se perçoit et est perçu comme l’une des ressources d’un processus qu’il faut bien qualifier non de réinsertion mais bien de regénération. La figure de l’aumônier y est particulièrement valorisée. Fait notable : le nombre d’aumôniers en activité dans les prisons françaises a doublé au cours des quinze dernières années alors même que leur agrément et leurs obligations sont rigoureusement encadrés par le législateur. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cette augmentation n’est nullement imputable à l’émergence des aumôneries musulmanes et concerne tous les cultes.

Évidemment, le glissement ou l’élargissement du rôle de l’aumônier crée des incertitudes ou des inconforts parmi les aumôniers eux-mêmes, avec parfois des différences nettes selon les cultes concernés. Aujourd’hui, des aumôniers revendiquent leur activité comme une œuvre civique et demandent une professionnalisation de leur statut (avec le salariat qui y serait attaché). D'autres en revanche, refusent toute forme de professionnalisation de cette fonction.

Un nouveau modèle (ministère) d’aumôneries, inconnu du grand public, a bien émergé dont rend compte cette étude sociologique et dont on attend avec impatience la publication. En tout cas, l’Administration Pénitentiaire l’a bien compris : le statut de l’aumônier, son rôle, mais aussi son mode d’indemnisation (*), est l’un de ses prochains chantiers.

(*) Actuellement, une partie des aumôniers en exercice reçoit des vacations pour couvrir leurs frais, notamment de transport.

Lire un compte rendu détaillé du colloque sur le blog de Jacky Tronel.

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