Un lecteur m’écrit à propos du billet Croire ou non du 4 mars dernier :

"Dans le billet dont il est question, vous parlez de se dédier sans retenue à l'enseignement. Je fais tout à fait le lien entre l'attitude d'esprit dépeinte par ces mots et le fait de "laisser se déployer une dimension d’ouverture totale" comme vous le dites. La question que je me pose est : à quoi se dédier sans retenue (et à quoi ne pas se dédier) ? Cette question est peut-être un peu paradoxale, car si je me demande "à quoi ?", ça ne peut pas vraiment être "sans retenue". Me dédier sans retenue impliquerait de ne plus me poser cette question. Mais il me semble qu'elle est nécessaire, comme un garde-fou qui m'empêcherait d'accepter n'importe quoi, et me permet de faire le tri entre les enseignements que je souhaite suivre de ceux que je ne souhaite pas suivre, des dogmes, des charlatans. D'où, il me semble, la nécessité de se poser la question.

Je me la pose donc : A quoi se dédier ? La question est délicate quand il s'agit de choses qui ne sont pas réellement nécessaires ni plaisantes ni néfastes. Je pense par exemple aux rituels, cette partie du zen qui parfois me semble prendre la couleur du dogme. Lorsque je fais des retraites, je suis contraint de participer aux rituels en même temps que les autres. Je suis un peu gêné par les rituels en eux-mêmes comme la plupart des Occidentaux, mais il me semble que cette gêne doit être traitée comme une émotion ordinaire et ne dois pas interférer avec le fait que je fasse ces rituels ou pas. Ce qui me dérange plus, c'est qu'ils me semblent inutiles, et je ne peux pas empêcher mon esprit d'émettre une certaine résistance lorsqu'on me demande de faire quelque chose sans raison. J'ai alors un peu l'impression de prendre part à une pièce de théâtre sans spectateurs, où les acteurs se prennent au sérieux et oublient qu'ils jouent. Lorsque j'en parle, on me répond généralement que je devrais laisser tomber ces considérations à propos des rituels, de l'utile et de l'inutile, mais alors la situation n'en devient pour moi que plus dogmatique… Alors, dois-je finalement accepter le dogme, me dédier totalement, ne plus faire le tri, au risque de suivre des voies qui ne sont pas souhaitables ? Ou dois-je garder ma faculté de douter, qui pourrait alors m'empêcher de me dédier totalement à l'enseignement ?"


Je lui réponds :

L'expérience spirituelle n'oppose pas la passivité et l'activité mais au contraire requiert que cette double dimension s’actualise complètement. J'entends la passivité comme cette faculté de pouvoir se laisser totalement traverser par l'expérience, j’entends l’activité comme cette faculté de pouvoir totalement la conduire. Assis sur un coussin, si je ne fais que méditer, en fait, je ne médite pas, j’ai besoin également d’être médité, de ne plus mener le jeu en quelque sorte. Il ne s’agit évidemment pas de se soumettre aveuglement, l’abandon intérieur suppose une force, une lucidité et une maîtrise de soi indispensables.

Mais à quoi se dédier sinon à l’essentiel : l’éveil. Une conversion est nécessaire, nos égarements doivent être laissés de côté pour laisser émerger une dimension éveillée de la vie. Un groupe a effectivement besoin que l’on adhère à ses propres règles, mais le fonctionnement d’un groupe relève simplement du fonctionnement ordinaire des êtres humains en société. Se dédier à l’éveil travaille sur d’autres registres plus essentiels : ouvrir son cœur, s’établir dans la tendresse, devenir habile dans l’art d’être vivant. Pour beaucoup, les rituels sont un point d’achoppement, certains sont allergiques et fuient les groupes trop ritualisés. D'autres, au contraire, s’en délectent. Ces attitudes relèvent simplement des fonctionnements ordinaires. Ils sont attendus, mais dans ce chemin du cœur, on ne peut s’en tenir là, il convient tout d’abord d’explorer ses allergies et ses délectations. Je dirais donc : ne vous soumettez pas, ne vous rebellez pas. Cela peut paraître contradictoire mais ce n’est contradictoire que si l’on reste dans un schéma ordinaire. Et justement en matière d’éveil, un mouvement extraordinaire qui transcende les schémas habituels s'avère nécessaire. le maître zen Dôgen parlait d’un saut (chôotsu) ou d’un dépouillement (datsuraku). Trouvez le maître en qui vous n’aurez plus de doute et jetez-vous dans l’éveil. Un maître authentique n’a que faire que vous vous conformiez ou non à des rituels, il ne dépend d’aucune règle, d’aucun dogme, il cherche simplement à révéler ce qui est vrai en vous.

Photographie : la cérémonie du combat du dharma (jap. hossenshiki), un rituel important de l'école japonaise sôtô.
 

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