Dans un commentaire au billet précédent, Jacques écrit :

"Si je ne m'abuse, Bouddha a dit à peu près : « Ne croyez pas ce que je vous dit parce que je vous le dis. » Donc, doutez, faites votre lard, expérimentez, ce qui donne implicitement le choix de prendre ou de laisser, en tout ou en partie. Heureusement, parce que « doutez, puis adhérez parce que j'ai raison », c'est une version pas très sympathique de « Croyez ». Donc, prendre des morceaux et les faire coïncider avec notre propre intuition, est un moyen à mon sens très approprié de s'adapter aux différences individuelles et culturelles. […]."

Je ne pourrais pas dire cela. Le bouddhisme n’est pas un système de pensée posé à l’extérieur de moi-même qui me donnerait une grille de lecture du monde, auquel je pourrais adhérer, en tout ou partie, ou ne pas adhérer. Dans l’enseignement zen, j’ai toujours entendu une invitation à donner, jamais à prendre. Pour me comprendre moi-même, pour me réaliser moi-même, je dois faire cette révolution intérieure de pouvoir laisser se déployer une dimension d’ouverture totale.

J’ai rencontré quelques fous du dharma, comme Ryôtan Tokuda ou Gudô Nishijima, ces bonhommes ne s’appropriaient pas la moindre parcelle de l’enseignement du bouddha, au contraire ils s’y dédiaient totalement, sans retenue aucune. Pour eux, se dédier à l’enseignement ne signifiait pas dédier leur temps ou leur énergie à une institution, devenir missionnaire ou quelque chose de ce genre, il s’agissait pour eux de se dédier à l’exercice infini de la vie, dans la joie et le don. Dans ses recommandations à ses moines, le maître zen Dôgen écrivait : "Ne pratiquez pas pour vous, ne pratiquez pour autrui, pratiquer seulement pour le bouddhisme" (Gakudô yôjin shû, "Recueil des points à observer dans l’étude de la voie"). La formule tient plus de la figure du style, car le bouddhisme n’est pas un objet, ni même un idéal, le bouddhisme est juste une métaphore pour la vie infinie qui nous cerne de toute part.

Un chrétien peut dire "je crois en un dieu fait homme", mais moi-même, j’ai beau chercher ce que je crois ou ce que je ne crois pas dans le zen, je ne trouve rien. Ce qui ne veut pas dire que le zen serait une pratique agnostique qui pourrait sans dommage se marier avec n’importe quelle autre croyance, qu’on pourrait ainsi faire du zen chrétien, du zen musulman, du zen new age ou je ne sais quoi d’autre. Non. En réalité, cette pratique nous conduit à explorer nos propres croyances, préjugés, conceptions, ce qu’elles disent de nous, à faire ce demi-tour dans lequel j’explore l’infini du monde en moi-même.

Aujourd’hui, les sociologues parlent de nomadisme spirituel pour désigner les nouveaux rapports au religieux, chacun grapille ceci ou cela, pour construire son identité ; soit, mais si je prends un bout, deux bouts, trois bouts, la totalité du bouddhisme, j’entretiens mon rapport habituel au monde. Hors cette pratique vise à rompre toutes nos habitudes. Sans doute, comme Occidentaux, nous abordons nécessairement le bouddhisme comme extérieur à nous-mêmes, puisqu’il ne fait pas partie de notre héritage, de notre culture. On essaye de le comprendre, de l’appréhender : "Qu’est-ce qu’ils disent ?" Mais il convient de dépasser ce prime apprentissage pour entendre la radicalité du propos.

Sur le Kâlâma-sutta, sermon du canon pâli (école Theravâda), souvent cité, à tort, comme un encouragement à remettre en question tout ou partie de l’enseignement bouddhique, on lira l’article fort clair de Dominique Trotignon, "Le Kâlâma-sutta : Ecouter, réfléchir, pratiquer", Les cahiers bouddhiques, n° 1, Paris, Université Bouddhique Européenne, juin 2005, p. 7-27.

 

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