Le chant de l'ermitage d'herbes
Pour notre retraite d’été, j’avais traduit le Chant de l’ermitage d’herbes (Caoanke) du maître zen Shitou (les Japonais prononcent Sekitô, 700-790), le lointain ancêtre de l’école Sôtô. Ce poème à chanter a pu nous inspirer tout au long de ces belles journées de méditation.
Shitou est un surnom. En réalité, il s’appelait Xiqian (jap. Kisen). Le moine avait bâti un ermitage sur un promontoire rocheux (shitou en chinois) sur le mont Heng dans le Hunan, l’une des cinq montagnes sacrées de la Chine. Là, on dit qu’il s’adonnait constamment à la méditation. L’ermitage était connu sous le nom de Shitouan, "L’ermitage du promontoire rocheux" et Xiqian sous le sobriquet du "vénérable du promontoire rocheux".
Dôgen cite à de nombreuses reprises ce chant. Curieusement, jusqu’à présent, il n’a guère été traduit – je n’en connais qu’une traduction anglaise de Daniel Leighton et de Yi Fu (que l’on peut lire ici). Pourtant le texte est assez simple, il n’y a que trois ou quatre difficultés et je me suis servi de la lecture classique de l’école Sôtô pour lever les ambiguïtés. Pour ceux que ça intéresse, vous pouvez télécharger le texte complet avec la version japonaise et des explications complémentaires, notamment sur les passages ambigus.
La traduction du titre est un peu forcée, caoan désigne en chinois les petits ermitages de méditation construits en dehors des monastères. Il ne sont pas fait de branchages ou d’herbes, mais simplement recouverts de chaume ou d’un autre matériel végétal (même si littéralement caoan signifie bien "ermitage d’herbes"). L’expression est plutôt métaphorique. Un ermitage d’herbes est un pauvre ermitage. Néanmoins, Shitou utilise ce terme dans sa poésie, il était nécessaire de traduire littéralement.
Voici le texte original chinois et ma propre traduction. Merci de ne pas la reproduire sans mon autorisation. La photographie, prise pendant la retraite, est de Solène.
草庵歌
吾結草庵無寶貝、飯了從容圖睡快。
成時初見茆草新、破後還將茆草蓋。
住庵人、鎭常在。不屬中間與内外。
世人住處我不住、世人愛處我不愛。
庵雖小、含法界。方丈老人相體解。
上乘菩薩信無疑、中下聞之必生怪。
問此庵、壞不壞。壞與不壞主元在。
不居南北與東西、基址堅牢以爲最。
青松下、明窓内。玉殿朱樓未爲對。
衲帔幪頭萬事休、此時山僧都不會。
住此庵、休作解。誰誇鋪席圖人買。
迴光返照便歸來、廓達靈根非向背。
遇祖師、親訓誨。結草爲庵莫生退。
百年抛却任縱横、擺手便行且無罪。
千種言、萬般解。只要教君長不昧。
欲識庵中不死人、豈離而今遮皮袋。
Le chant de l’ermitage d’herbes
Lorsque j’ai bâti mon ermitage d’herbes, je ne possédais rien de précieux.
Après manger, j’aime y faire tranquillement la sieste.
Une fois achevé, de nouvelles herbes sont aussitôt apparues.
Quand s’il s’abîmera, je le recouvrirai à nouveau d’herbes.
J’habite cet ermitage où je vis pour toujours,
Sans dépendre d’un dedans, d’un dehors ou d’un entre-deux.
Les lieux où demeurent les hommes du profane, je ne demeure.
Les lieux qu’ils chérissent, je ne les chéris.
Quoi que petit, cet ermitage contient l’univers tout entier.
Il a pour corps ce vieil homme dans sa cellule de dix pieds carrés.
Sans doute aucun, un bodhisattva du véhicule supérieur en conviendra.
Mais s’ils prêtent l’oreille, le moyen et l’inférieur trouveront cela certainement étrange.
Cet ermitage s’effondrera-t-il ou non ? Si on me le demande,
Je dirais que, destructible ou indestructible, le maître s’y trouve depuis toujours.
Il ne se tient ni au sud ni au nord ni à l’est ni à l’ouest.
Son fondement est des plus fermes, il ne peut être surpassé.
Sous la verdure des pins, dans la clarté de la fenêtre,
Même les tours vermillonnes d’un palais de jade ne pourront l’égaler.
La tête recouverte d’une cape, toute la multitude des préoccupations a disparu.
À ce moment-là, moi, le moine de montagne, je n’en connais plus une seule.
À vivre dans cet ermitage, je ne recherche plus la libération.
Qui fera le boniment de sa boutique pour lui trouver preneur ?
Si vous retournez la lumière et que vous la faites revenir,
La racine spirituelle vaste et spacieuse ne se tourne ni ne se détourne.
Rencontrez les maîtres-patriarches, soyez familier de leurs enseignements,
Nouez des herbes et construisez un ermitage, sans jamais renoncer.
Si on s’abandonne la vie entière, on s’adonne à la liberté.
Que l’on avance les mains ouvertes, et n’y aura plus de faute.
Par milliers, tous ces mots et ces explications
Ne servent qu’à vous libérer à jamais de l’obscurcissement.
Si vous voulez connaître l’immortel en son ermitage,
Pourquoi quitteriez-vous ce sac de peau d’à présent ?
Shitou est un surnom. En réalité, il s’appelait Xiqian (jap. Kisen). Le moine avait bâti un ermitage sur un promontoire rocheux (shitou en chinois) sur le mont Heng dans le Hunan, l’une des cinq montagnes sacrées de la Chine. Là, on dit qu’il s’adonnait constamment à la méditation. L’ermitage était connu sous le nom de Shitouan, "L’ermitage du promontoire rocheux" et Xiqian sous le sobriquet du "vénérable du promontoire rocheux".
Dôgen cite à de nombreuses reprises ce chant. Curieusement, jusqu’à présent, il n’a guère été traduit – je n’en connais qu’une traduction anglaise de Daniel Leighton et de Yi Fu (que l’on peut lire ici). Pourtant le texte est assez simple, il n’y a que trois ou quatre difficultés et je me suis servi de la lecture classique de l’école Sôtô pour lever les ambiguïtés. Pour ceux que ça intéresse, vous pouvez télécharger le texte complet avec la version japonaise et des explications complémentaires, notamment sur les passages ambigus.
La traduction du titre est un peu forcée, caoan désigne en chinois les petits ermitages de méditation construits en dehors des monastères. Il ne sont pas fait de branchages ou d’herbes, mais simplement recouverts de chaume ou d’un autre matériel végétal (même si littéralement caoan signifie bien "ermitage d’herbes"). L’expression est plutôt métaphorique. Un ermitage d’herbes est un pauvre ermitage. Néanmoins, Shitou utilise ce terme dans sa poésie, il était nécessaire de traduire littéralement.
Voici le texte original chinois et ma propre traduction. Merci de ne pas la reproduire sans mon autorisation. La photographie, prise pendant la retraite, est de Solène.
草庵歌
吾結草庵無寶貝、飯了從容圖睡快。
成時初見茆草新、破後還將茆草蓋。
住庵人、鎭常在。不屬中間與内外。
世人住處我不住、世人愛處我不愛。
庵雖小、含法界。方丈老人相體解。
上乘菩薩信無疑、中下聞之必生怪。
問此庵、壞不壞。壞與不壞主元在。
不居南北與東西、基址堅牢以爲最。
青松下、明窓内。玉殿朱樓未爲對。
衲帔幪頭萬事休、此時山僧都不會。
住此庵、休作解。誰誇鋪席圖人買。
迴光返照便歸來、廓達靈根非向背。
遇祖師、親訓誨。結草爲庵莫生退。
百年抛却任縱横、擺手便行且無罪。
千種言、萬般解。只要教君長不昧。
欲識庵中不死人、豈離而今遮皮袋。
Le chant de l’ermitage d’herbes
Lorsque j’ai bâti mon ermitage d’herbes, je ne possédais rien de précieux.
Après manger, j’aime y faire tranquillement la sieste.
Une fois achevé, de nouvelles herbes sont aussitôt apparues.
Quand s’il s’abîmera, je le recouvrirai à nouveau d’herbes.
J’habite cet ermitage où je vis pour toujours,
Sans dépendre d’un dedans, d’un dehors ou d’un entre-deux.
Les lieux où demeurent les hommes du profane, je ne demeure.
Les lieux qu’ils chérissent, je ne les chéris.
Quoi que petit, cet ermitage contient l’univers tout entier.
Il a pour corps ce vieil homme dans sa cellule de dix pieds carrés.
Sans doute aucun, un bodhisattva du véhicule supérieur en conviendra.
Mais s’ils prêtent l’oreille, le moyen et l’inférieur trouveront cela certainement étrange.
Cet ermitage s’effondrera-t-il ou non ? Si on me le demande,
Je dirais que, destructible ou indestructible, le maître s’y trouve depuis toujours.
Il ne se tient ni au sud ni au nord ni à l’est ni à l’ouest.
Son fondement est des plus fermes, il ne peut être surpassé.
Sous la verdure des pins, dans la clarté de la fenêtre,
Même les tours vermillonnes d’un palais de jade ne pourront l’égaler.
La tête recouverte d’une cape, toute la multitude des préoccupations a disparu.
À ce moment-là, moi, le moine de montagne, je n’en connais plus une seule.
À vivre dans cet ermitage, je ne recherche plus la libération.
Qui fera le boniment de sa boutique pour lui trouver preneur ?
Si vous retournez la lumière et que vous la faites revenir,
La racine spirituelle vaste et spacieuse ne se tourne ni ne se détourne.
Rencontrez les maîtres-patriarches, soyez familier de leurs enseignements,
Nouez des herbes et construisez un ermitage, sans jamais renoncer.
Si on s’abandonne la vie entière, on s’adonne à la liberté.
Que l’on avance les mains ouvertes, et n’y aura plus de faute.
Par milliers, tous ces mots et ces explications
Ne servent qu’à vous libérer à jamais de l’obscurcissement.
Si vous voulez connaître l’immortel en son ermitage,
Pourquoi quitteriez-vous ce sac de peau d’à présent ?
Mots-clés : poésie, traductions
Imprimer | Articlé publié par Éric Rommeluère le 17 Août 08 |
le 29/10/2008
Canto de la ermita de hierba
(Sekitô Kisen 700-790)
Cuando construí mi ermita de hierba no poseía nada valioso.
Después de comer me gusta hacer allí tranquilamente la siesta.
Una vez acabada aparecieron en seguida nuevas hierbas.
Cuando se hunda la cubriré nuevamente de hierbas.
Habito en esta ermita donde viviré para siempre,
Sin depender de fuera, de dentro o de en medio.
Los lugares donde habitan los hombres profanos no los habito.
Los lugares que quieren yo no los quiero.
Aunque pequeña esta ermita contiene el universo completo.
Tiene por cuerpo este hombre viejo en su celda de diez pies cuadrados.
Sin duda alguna convendría un bodhisattva del vehículo superior.
Pero, si prestáis atención, el medio y el inferior encontraran esto realmente extraño.
¿Se hundirá esta ermita o no? Si se me pregunta,
Diría que, destructible o indestructible, el maestro se encuentra allí desde siempre.
No se encuentra ni al sur ni al norte, ni en el este ni en el oeste.
Sus cimientos están entre los mas firmes, no puede ser superado.
Bajo el follaje de los pinos, en la claridad de la ventana,
Incluso ni la torres bermellón de un palacio de jade podrían igualarlo.
Cubierta la cabeza por un manto toda la multitud de preocupaciones ha desaparecido.
En este momento yo, el monje de la montaña, no conozco ninguna mas.
Al vivir en esta ermita ya no busco la liberación.
¿Quien hará propaganda de su tienda para encontrarle comprador?
Si giráis la luz y la hacéis volver,
La raíz espiritual amplia y espaciosa no se gira ni se desvía.
Encontrad a los maestros-patriarcas, sed familiares con sus enseñanzas,
Anudad hierbas y construir una ermita, sin desistir nunca.
Si se abandona la vida entera, nos entregamos a la libertad.
Avanzad con la manos abiertas y nada mas os faltará.
Por millares todas estas palabras y explicaciones
no sirven mas que para liberaros para siempre de la oscuridad.
Si queréis conocer al inmortal en su ermita,
¿Porqué abandonar este saco de piel de ahora?
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Los derechos de esta traducción pertenecen a Eric Rommeluere ©, no pudiendo ser reproducida sin su permiso.