Comme un certain nombre de visiteurs arrivent sur ce blog en tapant dans Google «écriture chinoise» ou «langue japonaise», je peux sans vergogne déclarer ici mon amour du bungo! Et non, le bungo n’est pas un nouveau jeu vidéo! Il s’agit de la langue classique de l’époque médiévale au Japon (en gros du Xe au XIIe siècle). Cette langue est devenue la langue écrite de référence jusqu’au début du XXe siècle tandis que la langue japonaise évoluait pour lui donner sa forme actuelle. Bungo signifie simplement «langue littéraire». Au Japon, aujourd’hui même, les élèves du secondaire reçoivent des rudiments de bungo car l’essentiel de leur littérature est écrite dans cette langue ancienne.

J’ai appris le bungo pour pouvoir lire les textes bouddhistes japonais notamment ceux de Dôgen qui écrivait soit en chinois soit dans sa propre langue. Je peux parfois rester quelques heures sur une phrase difficile ou à la tournure délicate. Ce dimanche, je me trouvais fort perplexe pour traduire l’extrait du fascicule Kie sanbô, «Prendre refuge dans les trois trésors». En fait, c’est le début de la première phrase qui me posait problème. Apparemment, il est fort simple :


おほよそ佛子の行道、かならずまづ十方の三寶を敬禮したてまつり、
Ohoyoso busshi no gyôdô, kanarazu mazu jippô no sanbô wo kyôrai shi tatematsuri,

adverbe ohoyoso = généralement, d’une façon générale
busshi no gyodô = la pratique de la voie des enfants / des fils / du Bouddha (l’expression est tirée du Sûtra du lotus)
adverbe kanarazu = certainement, immanquablement, assurément
adverbe mazu = d’abord, en premier
jippô no sanbô = les trois trésors des dix directions
wo = une particule qui lie le complément d’objet direct et le verbe (la langue japonaise est une langue dite SOV où l’ordre de la phrase est normalement sujet, objet, verbe)
verbe kyôrai su = rendre hommage
tatematsuru = auxiliaire verbal honorifique

Le sens est facile à comprendre. Mais je restais bien interrogatif devant la construction ohoyoso... kanarazu..., «généralement... immanquablement...»
. La juxtaposition quelque peu incongrue des adverbes m'intriguait. Hélas, aucune de mes grammaires ne mentionnaient particulièrement cet ohoyoso et les dictionnaires donnent toujours «généralement». De plus en plus intrigué, je commençais à faire des recherches sur internet en japonais - les amoureux de bungo sont, à la différence de la France, très nombreux au Japon - pour trouver un article  passionnant (!) d’une chercheuse japonaise intitulé «La transformation historique du sens et de la fonction de "Ohoyoso" et de "Oyoso"». L’auteure fait une analyse serrée et convaincante de l’usage de ce terme avec de nombreux exemples illustratifs. Pour l’époque médiévale, outre la fonction adverbiale, le mot a trois autres sens : tous, quel que soit ; la somme de, un total de ; général, ordinaire. Je reprends le Shôbôgenzô. Les occurrences du termes montrent que Dôgen utilisait ohoyoso dans bien d'autres sens que «généralement». Après plusieurs heures de recherche (en amour, on ne compte pas...), je ne voyais plus d’autre façon que de traduire finalement et tout bien soupesé :

«Quelle que soit leur pratique de la voie, immanquablement les enfants du Bouddha, en premier, rendent hommage aux Trois Trésors des dix directions...»

Peut-être que je ferai un blog spécifique sur le japonais et le chinois. Je sais que quelques personnes aimeraient apprendre à lire Dôgen dans l’original (ou tout au moins pouvoir se débrouiller). Que les personnes intéressées me contactent.


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