Je le confesse, je suis un geek ! Je n’utilise pas Twitter, mais SAT ! SAT est l’acronyme de Samganikikrtam Taisotripitakam, quelque chose comme « La compilation électronique du canon de Taishô » (en sanskrit). Kezaco ? À la fin des années quatre-vingt-dix, des universitaires japonais s’étaient engagés dans une entreprise titanesque, rien moins que digitaliser et mettre en ligne l’intégralité du canon bouddhiste de Taishô, la principale référence en matière de textes bouddhistes chinois et japonais. Ce recueil publié dans les années trente au Japon (sous l’ère Taishô) ambitionnait d’être une édition raisonnée des principaux textes bouddhistes. Il n’est donc pas exhaustif. S’il intègre le Shôbôgenzô de Dôgen, il ne contient pas par exemple la version complète de son Eihei kôroku. La version papier de cent volumes comprend des dizaines de milliers de pages de caractères bien serrés. L’entreprise était gigantesque. Elle a duré dix ans jusqu’à son achèvement voici un an environ. La version définitive du site a été mise en ligne il y a quelques mois seulement. Les concepteurs ont enlevé une fonctionnalité intéressante puisque pendant ces dix ans, on pouvait télécharger les textes au fur et à mesure de leur digitalisation. Mais ils ont rajouté une fonctionnalité qui, à elle seule, est une petite révolution : le moteur de recherche interne ! Autrement dit si vous tapez un mot ou une expression, le moteur de recherche vous donne toutes les occurrences de ces expressions dans ces dizaines et dizaines de milliers de pages.

En ce moment, j’écris quelques pages sur le thème « Le bouddhisme est une fiction » et je me demandais si l’on trouvait cette phrase, telle quelle, quelque part dans le canon. Vite, je cours sur Twitter SAT et je tape la phrase. Bien sûr, il faut que je l’écrive en chinois et dans le vocabulaire bouddhiste. La meilleure façon de rendre cette phrase me paraît 佛法如幻 littéralement « Le dharma du Bouddha est pareil à une création magique / une illusion ». Dans les textes bouddhistes, la magie des illusionnistes est une métaphore courante pour rendre le caractère fictionnel des choses. Mais pouvait-on dire que le bouddhisme lui-même est une fiction ?


Et bingo, je trouve cette phrase dans l’un des plus grands textes bouddhistes, Le Sûtra de la grande sagesse en huit mille vers dans la traduction chinoise de Kumârajîva. Ce sûtra est le plus ancien des textes du Grand Véhicule, vraisemblablement composé au tout début de l'ère chrétienne.


Voici le passage :

諸天子言。須菩提。亦説佛法如幻如夢。須菩提言。我説佛法亦如幻如夢。説我涅槃亦如幻如夢。諸天子言。大徳須菩提。亦説涅槃如幻如夢耶。須菩提言。諸天子設復有法過於涅槃。我亦説如幻如夢。諸天子。幻夢涅槃無二無別


Que je traduis comme suit :

Les fils des Dieux dirent : « Ô Subhûti, vous avez aussi enseigné que le dharma du Bouddha est pareil à une création magique ou à un rêve ! »
( = Vous avez aussi enseigné que le bouddhisme est une illusion.)
Subhûti dit : « J’enseigne que le dharma du Bouddha est tout autant pareil à une création magique ou à un rêve. J’enseigne que le nirvâna est tout autant pareil à une création magique ou à un rêve. » ( = J'enseigne que le bouddhisme est une illusion. J'enseigne que le nirvâna est une illusion.)
Les fils des Dieux dirent : « Ô vertueux Subhûti, vous dites aussi que le nirvâna est pareil à une création magique ou à un rêve !? »
Subhûti dit : « Ô fils des Dieux ! Dusse-t-il y avoir autre chose qui surpasse le
nirvâna, que j’enseignerai encore qu’il s’agit d’une création magique ou d’un rêve. Ô fils des Dieux ! Les créations magiques, le rêve et le nirvâna ne forment pas dualité, ils ne sont pas différents.

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