Je traduis un long texte d'une vingtaine de pages du maître Jiun sonja intitulé "L'histoire du triple refuge" (Sanki innen 三歸因縁) qui narre les débuts de l'enseignement du Bouddha.

Je poste la première partie avec le texte original, phrase après phrase, avec quelques notes lorsqu'elles s'avèrent nécessaires. Je vous remercie de ne pas la copiercoller car il ne s'agit que d'une première version de travail.

Le texte est rédigé dans le japonais littéraire tel qu'on l'écrivait au XVIIIe siècle dans la région du Kansai d'où était originaire Jiun. On y retrouve les tournures grammaticales propres à la région. Jiun traduit ou plutôt paraphrase des passages en chinois du Code disciplinaire quadripartite (Shibun ritsu), l'un des principaux vinaya. Si des japonisants ont des suggestions ou des corrections, qu'ils n'hésitent pas à m'écrire car certaines phrases sont difficiles.


三歸因縁

L’histoire du triple refuge


佛世尊が無量劫來の功徳滿足なされて、一切衆生の爲に、閻浮提の中國、族姓世に尊特にして、父母共に眞正の家を擇び、中天竺迦維羅衞城浄飯王の王宮に誕生なされた時、種々の應瑞が現じた故、父大王が一切の仙人婆羅門等の相者を召して御見せなされたれば、皆云ふには、此太子は三十二大人の相、八十種の隨形好が具足して威徳比類が御座らぬ。

Au long d’innombrables éons, le Bouddha Vénéré du monde avait mené à la perfection les vertus et, pour le bien de tous les êtres, il choisit une authentique famille de père et de mère, fort honorable, à l’époque des grands clans dans le pays central du Jambudvīpa. Lorsqu’il naquit au palais royal du roi Bouillie Pure en la ville de Kapilavastu dans l’Inde centrale, le grand roi, son père, manda tous les physionomanes, sages, brahmanes et autres, car il portait toutes sortes de signes particuliers. Lorsqu’il les eut montré, tous lui dirent : «Ce prince héritier est pourvu des trente deux marques et des quatre vingt marques secondaires d’un grand homme, son autorité n’aura pas d’égale.


若し家に在つては、十九歳の時に至つて自然に轉輪聖王の寶位に御登りなされ、四天下に王として一切大小の諸王皆臣と稱して服從いたさう。

S’il reste au foyer, une fois atteint l’âge de dix-neuf ans, naturellement il devrait accéder au rang souverain d’un saint roi qui tourne la roue. Roi des quatre continents, il sera appelé «Tous les rois, petits et grands, sont tous ses vassaux» et tous lui obéiront.

Note : "Tous les rois, petits et grands, sont tous ses vassaux", source inconnue.


若し家に出て學道修行なせれたらば、必ず無上正覺を成じて三界の大師とならせられやうが、恐くは在家で五欲を受くることは御好みあるまい。

S’il quitte le foyer pour étudier la voie et s’adonner aux pratiques, il devrait sûrement réaliser l’éveil correct et insurpassable et devenir le grand maître du triple monde. S’il est effrayé, il ne devrait pas à enclin à rester sensible au quintuple désir dans la demeure du foyer.

Note : "Le quintuple désir" (
goyoku), les cinq désirs, objets des cinq sens.


なぜなれば三十二相が殊の外明了な。

La raison en est que les trente-deux marques sont d’une évidence toute exceptionnelle.


古來の云ひ傳へに、相好の明了なるは必ず出家學道して無上正覺成ぜらるるとある。

Les marques majeures et mineures sont avérées. D’après ce qu’il est rapporté depuis les temps anciens, il quittera nécessairement son foyer, étudiera la voie pour réaliser l’éveil correct et insurpassable.»


在家で轉輪王の位を受くる人は相好は具はれども明了に無いと云ふことで御座と申した故、父大王が甚だ出家なさるべきことを氣遣ひに思召して、年長大に至らせらるる程、増々五欲自在にして世間の歡樂を盡くして出家の志の怠る様にとのみさせられたが、一切世間文字武藝議技術迄も自然に通達なられ、晝夜怠らず益々勤學なさるる故、若しや疾でも起らうかと父大王が思召して、離宮へ遊樂に御出でなさるる様にと敕せられた。

Toutes les marques de celui qui reçoit le rang d’un roi qui tourne la roue dans la demeure du foyer étaient réunies, mais son père, le grand roi, déclara qu’elles ne paraissaient pas évidentes car il pensait avec préoccupation qu’il était fort possible qu’il quittât le foyer. Lorsqu’il eut atteint l’âge adulte, il était libre de l’accroissement du quintuple désir et avait épuisé les joies et les plaisirs du monde, donnant simplement l’impression de négliger l’aspiration à quitter le foyer. Il assimilait sans effort les textes, les techniques militaires et tous les savoir-faire du monde séculier. Comme, jour et nuit et sans relâche, il travaillait de plus en plus, son père, le grand roi, se demanda s’il n’en tomberait pas malade. Il lui commanda alors de se rendre dans un palais détaché pour se divertir.

Note : "avec préoccupation" (kizukai), le souci, la sollicitude avec une nuance d’anxiété et d’appréhension.
Note : "un palais détaché" (
rikyū), le palais secondaire d’un monarque.


太子は遊樂に御心はなけれども、過去無量劫より終に父母の命に背くかぬ大孝行の太子故、敕に從うて御座なされた。

Le prince n’avait nulle envie de s’amuser, mais il suivit le commandement, car après tant d’innombrables éons du passé, il était à la fin le prince héritier d’une grande piété filiale qui ne désobéit pas à ses parents.


是を初めとして四方の離宮へ御成りなされたが、初に老人を御覽なされ、次の時病人を御覽なされ、第三度の時は死人を御覽なされて、現に生老病死の四苦の太だ畏るべく、世間名利五欲の太だ厭ふべきことを徹底證知なされて、何とぞ吾も此四苦を離れ、一切衆生にも此四苦を免れしめんものぞと、宮中に歸つて晝夜唯坐禪思惟なされて、一念も娯樂の御心はない。

C’était la première fois qu’il se rendait au palais carré. À la première visite, il vit une vieille personne, à la seconde quelqu’un de malade et à la troisième un cadavre. En fait, la quadruple souffrance de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort l’effraya intensément. Il témoignait complètement que la renommée, le profit mondains et le quintuple désir le répugnaient tant. Mais il se dit : «Dussé-je me libérer de cette quadruple souffrance, tous les êtres, eux, en réchapperont-ils ?» Il revint au palais et jour et nuit, il ne faisait que s’asseoir en méditation et y songer, sans plus avoir un instant l’esprit à se divertir.

Note : "Le palais carré" (yomo no rikyū), ou plus littéralement "le palais détaché à quatre côtés" qui fait écho à shiku o hanaru, "se libérer de la quadruple souffrance." Jiun joue sur un double entendre, le palais détaché sera le palais du détachement.


父王が益々氣の毒に思召して、又嚴しく群臣に敕して道路を莊嚴し、更に別の離宮へ出て遊觀なさるる様にと敕せられた故、美盡し善盡して道路を莊嚴し、一切の厭患すべき老病等の者は極めて御目に觸れぬ様にと種々心を盡して御車を出ましたが、今度は空中に於いて獨りの沙門を御覽なされた。

Le roi, son père, ressentait de plus en plus de peine. D’un air grave, il ordonna encore à tous ses sujets que l’on décorât la route. Le prince sortit à nouveau pour un autre palais détaché et comme l’ordre avait été donné qu’il fasse une visite d’agrément, on décora la route qui fut entièrement belle et entièrement bonne, car tous ceux qui, vieux ou malades, auraient pu le déciller ne devaient pas du tout attirer son attention. L’esprit troublé, il sortit son char, mais cette fois, il vit un moine seul se tenant dans l’espace.

Note : "Entièrement belle et entièrement bonne", l’expression passée dans la langue japonaise provient des Entretiens de Confucius (3:25) : «Le maître dit de la musique de Shao qu’elle était entièrement belle et également entièrement bonne. Il dit de la musique de Wu qu’elle était entièrement belle mais pas entièrement bonne.»
Note : "un moine" (shamon), le religieux qui a renoncé au monde.



此は淨居天の化乍であつた。

Il s’agissait d’une métamorphose du dieu Pure Demeure.


其の相は鬚髪を剃除し壞色の袈裟を被着し、手に應器と錫杖とを執持して儼然として立つて居られた。

Cette apparition avait les cheveux et la barbe rasés, elle portait un kaṣāya de couleur cassée et dans ses mains elle tenait un bol à aumônes et une canne à anneaux. L’allure solennelle, elle se tenait debout.

Note : "un kaṣāya de couleur cassée" (eshiki no kesa), la robe monacale d’une couleur mélangée.
Note : "une canne à anneaux" (shakujō), le long bâton surmonté d’anneaux métalliques des moines.


そこで太子は未曾有に思召して、汝は如何なる人ぞと御問ひなされたれば、沙門の答へて云はれるには、我は是れ沙門、生老病死の厭ふべきことを知り、世間の五欲を遠離して出家學道し、眞實安樂の道に趣く者じやと答へられたを聞かせられて、初て御心に適うて歡喜なされて、我亦必ず如此出家學道せうぞと思召して、今七日在家で御座ると、自然に輪王の七寶が現じて寶祚に即かせらるるのを甚だ御厭ひ有つて、中夜に城を超えて雪山に至り、それより五天竺で第一の導師と稱する阿蘭迦蘭、欝頭藍子の二仙人の所に至つて、各其道を盡して得なされた。

Le prince héritier se dit alors qu’il n’avait jamais rien vu de tel. Il l’interpella : «Qui es-tu ?» Le moine répondit : «Je suis un moine. Je sais que la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort sont haïssables. Je me suis détourné du quintuple désir et j’ai quitté le foyer pour étudier la voie. Je suis celui qui s’est engagé dans la voie du véritable confort.» Sa réponse, enfin, le contentait et le réjouissait. Il songea qu’il devait certainement lui aussi et de la même façon quitter le foyer et étudier la voie. Dans les sept jours, se dit-il, les sept trésors d’un roi qui tourne la roue apparaîtront d’eux-mêmes, mais son intronisation lui faisant tout particulièrement horreur, à minuit, il franchit les murs de la ville et rejoignit l’Himalaya. De là, il se rendit auprès de deux ermites, Ārāḍa Kālāma, qu’on appelait le premier guide des cinq régions de l’Inde, et Udraka Rāmaputra et il épuisa et réalisa chacune de leur voie.


彼二仙人も自身却つて太子に及ばぬことを推量して承事恭敬したとある。

On dit que ces deux ermites considéraient pourtant qu’ils ne pouvaient eux-mêmes l’égaler et qu’ils l’honoraient et le respectaient.


此二仙人の所成の道も未だ生死海中の法で、眞正で無いことを知ろしめして、捨て去つて尼連禪河の側に於て六年が問自ら苦行して、日々一麻一麥を食して修行なされて、終に臘月八夜に明星を見て廓然大悟して無上正覺を證し、一切種智を成じなされた。

La voie achevée des deux ermites, il sut qu’elle n’est pas encore vraie car ce n’était qu’une conduite dans l’océan du saṃsāra. Il les abandonna et, six années durant, il se livra aux austérités sur les bords de la rivière Nairañjāna. Jour après jour, il s’exerçait en ne mangeant qu’un seul grain de sésame et un seul grain de blé. Enfin, la nuit du huit du douzième mois, en voyant l’étoile du matin, il s’éveilla grandement et largement : il réalisa l’éveil correct et insurpassable, accomplissant la science de tous les aspects.


それより菩提樹下に結跏趺坐して七日不動、自心所得の法門甚深微妙なるを思惟して、自ら解脱の法樂を受けて御座なされた。

Après quoi, il resta sept jours sans bouger assis en lotus sous l’arbre de l’éveil. Il examina les rubriques profondes et subtiles qu’il avait atteint en son propre esprit et jouit lui-même des délices de la libération.


此の無上正覺は何に由つて成じなされたなれば、由繋意専念不放逸故にと律藏に出である。

Comme il réalisa cet éveil correct et insurpassable par toutes ces raisons, on trouve l’expression «grâce à son attention, sa vigilance et son absence de relâchement » dans la corbeille du vinaya.

Note : "Grâce à son attention, sa vigilance et son absence de relâchement", l’expression revient trois fois de suite dans le Code disciplinaire quadripartite.


(À suivre)



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