Après l’Assemblée Nationale, le Sénat a adopté ce 26 juin le projet de loi «tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales». Ces derniers mois, les deux mesures phares de la réforme pénale, la suppression des peines planchers et la création de la contrainte pénale, ont retenu toute l’attention, laissant dans l’ombre d’autres propositions, notamment celle qui prévoit la mise en place de mesures de «justice restaurative». Lors des séances publiques et à l’initiative du gouvernement, les députés ont en effet introduit un nouvel article dans le Code de Procédure Pénale. Sa rédaction a été amendée par les sénateurs sous la forme suivante :

« Art. 10‑1. – À l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, les victimes et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative.
« Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu’après que la victime et l’auteur de l’infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer. Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l’administration pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire entre les parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République. »


Sous le terme de mesures de justice restaurative, le projet de loi entend différentes procédures de médiation (les rencontres victimes et auteurs d’infraction) ou la mise en place de groupes de soutien (les cercles de soutien et de responsabilité pour les condamnés). Pour les victimes, leurs proches, comme pour les auteurs d’infraction, ces pratiques permettent de poser une parole sur un acte, leurs dommages et leurs conséquences. En France, les expérimentations sont rares, peu connues, malgré les efforts et la pédagogie de professionnels de la justice, d’associations, de chercheurs ou plus récemment de la Plateforme pour la justice restaurative, créée fin 2013 afin de promouvoir une autre vision de la justice dans l’espace public. L’ajout de l’article lors des séances publiques à l’Assemblée Nationale a d’ailleurs laissé indifférent la plupart des observateurs. Parmi les formations politiques, seul le groupe Ecologiste s’en est fait l’écho et le soutien appuyé.

Avec cette disposition qui sera ainsi inscrite dans la loi, la France se conforme aux préconisations de la directive du Parlement européen du 25 octobre 2012 qui établissait des normes minimales concernant le droit, le soutien et la protection des victimes. Les évaluations menées dans plusieurs pays pionniers comme le Canada ont montré les multiples impacts positifs de ces mesures de justice restaurative, notamment en matière de récidive. Les participants témoignent qu’ils sont reconnus par les autres parties en présence, y compris par les structures sociales et juridiques, dans leurs souffrances, dans leur intégrité morale et psychique, mais aussi dans leur citoyenneté, et qu’ils peuvent ainsi aborder autrement leur avenir. La directive européenne avait reconnu toute la pertinence de ces mesures tout en cherchant à les encadrer.

Lors des débats au Parlement, certains députés ont néanmoins exprimé leur scepticisme et leur incompréhension, s’interrogeant sur ce que l’on restaurait et ce que l’on réparait lors de ces rencontres. Ces dispositifs ne peuvent être pleinement appréciés sans poser a minima la question du sens de la peine. La justice restaurative ne se réduit pas en effet à de simples procédures, elle affirme aussi une autre vision de la justice qui se démarque de la logique punitive. Trop vite, nous oublions ce que signifie punir, à la fois dans les mots et dans les actes : Punir, c’est faire souffrir. Mais dans une société moderne, soucieuse du vivre-ensemble, la souffrance, infligée de manière légitime et espère-t-on proportionnée, est-elle toujours appropriée, que l’on se place du point de vue social, du point de vue politique ou du point de vue éthique ? Peut-on inventer une autre façon de sanctionner – il ne s’agit en effet ni d’excuser ni de minimiser, encore moins d’absoudre l’infraction – tout en permettant de réparer les liens et les personnes ? Le besoin de justice exige-t-il seulement ou nécessairement une réparation matérielle, une peine qui a sa mesure et sa comptabilité, ou requiert-il d’abord la restauration de l’intégrité blessée et meurtrie ? Ce sont là quelques-unes des questions fondatrices que soulève la justice restauratrice.

Howard Zehr, professeur de justice restaurative dans une université mennonite américaine et l’artisan de ces réflexions aux États-Unis, a intitulé l’un de ses ouvrages Changing lenses: A New Focus for Crime and Justice («Changer de lentilles. Un nouveau regard sur la criminalité et la justice»). La justice restaurative propose en effet de modifier notre regard sur les infractions, ce qu’elles signifient en termes de fractures individuelles et sociales. Dans son approche pratique, elle considère en premier les besoins et les demandes de tous les acteurs en présence, les victimes, les auteurs de délits et de crimes, mais également ceux de la société dans sa dimension instituante. Dans sa mise en œuvre, à travers des processus comme les rencontres ou les cercles de soutien, la justice restaurative accorde ainsi une place déterminante à la personne tierce qui intervient dans le processus de rencontre. Si celle-ci est formée à la médiation et facilite une parole, elle n’est pourtant ni un médiateur ni un facilitateur. Elle agit d’abord comme le représentant de la communauté. Elle doit être présentée et perçue comme tel par toute les parties, de sorte que les victimes, leurs proches, les auteurs de délits ou de crimes savent qu’ils ne sont en rien exclus de la communauté. Si les liens sont brisés, si les personnes sont affectées, leur avenir ne peut se construire que dans un vivre-ensemble sain et restauré. La collectivité et les institutions en sont le garant.

Saluons donc cette inscription dans la loi des mesures de justice restaurative qui œuvrent à une transformation des représentations sociales et des pratiques de la justice (comme la contrainte pénale d’ailleurs) même si nombre de préjugés devront encore tomber. Reste cependant un point non débattu par les députés et les sénateurs, puisque le projet de loi prévoit que les mesures seront « mise(s) en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet.» La formation et le financement relèvent logiquement du devoir communautaire. Espérons donc que la puissance publique soutiendra concrètement le développement de la justice restaurative en France.

Pour aller plus loin :
- Howard Zehr, La justice restaurative. Pour sortir des impasses de la logique punitive, Genève, Labor et Fides, 2012.
- Robert Cario, La justice restaurative. Principes et promesses, Paris, L’Harmattan, 2010.

Un article également publié sur le site du Huffington Post.

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