Défendu par Madame Taubira, le projet de loi sur la prévention de la récidive et l’individualisation des peines (rebaptisé le 27 mai dernier projet de loi tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales) sera discuté en séance publique à l’Assemblée Nationale à compter du mardi 3 juin. L’une des mesures phares de ce projet, la contrainte pénale, sera sans doute âprement débattue. Avec cette forme inédite de peine étendue à tous les délits, l’emprisonnement ne sera plus la seule réponse offerte au juge. Désormais, celui-ci pourra prononcer un certain nombre d’obligations, d’interdictions voire une injonction de soins. La contrainte pénale est bien entendu pensée dans la perspective d’une réinsertion du condamné au sein de la communauté. Ses détracteurs n’y voient qu’un sursis avec mise à l’épreuve qui ne dirait pas son nom et qui servirait à désengorger les prisons françaises, pire la porte ouverte à l’impunité, le laxisme de l’État, ce qui est pourtant loin de l’esprit et des mesures proposées dans ce projet. L’enjeu sera donc de donner une consistance à cette mesure de contrainte pénale, qu’elle soit perçue et vécue comme une condamnation exécutée au sein de la communauté.

Le débat ainsi posé permet de repenser le sens de la peine dans une société démocratique qui aspire, par nature, à intégrer chacun de ses membres dans la vie sociale et civique. À l’évidence, cette «loi Taubira» porte en elle les ferments d’une nouvelle justice, une justice en acte qui ne se contente pas de sanctionner, de favoriser la reconstruction et la réinsertion des auteurs de délits, mais aussi de restaurer. Le projet de loi propose d’insérer un nouvel article au Code Pénal ainsi rédigé : «Afin d’assurer la protection effective de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des droits reconnus à la victime, la peine a pour fonctions : 1° De sanctionner le condamné ; 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. » «Restaurer», le mot est là, sans doute inspiré au rédacteur par la justice restaurative, et sera sûrement entendu.

Née outre-Atlantique voici quelques dizaines d’années, mais encore mal connue en France, la justice restaurative (restorative justice en anglais, parfois traduite par justice réparatrice) offre une autre approche que la justice punitive. La justice restaurative prend en considération les auteurs, les victimes, leurs proches mais aussi la communauté. Elle vise à les restaurer dans leur intégrité et dans leurs liens sociaux afin leur permettre, malgré tous les dommages, subis ou causés, de se reconstruire. Ce n’est pas une justice de l’excuse ou de la démission. C’est une justice soucieuse de l’avenir.

Dans le cadre de la justice pénale, la justice restaurative s’appuie sur des pratiques concrètes, comme la rencontre des personnes concernées dans le cadre d’une médiation pénale en face à face, les rencontres condamnés-victimes ou la mise en place de cercles de soutien pour les personnes libérés en fin de peine. Ces dispositifs font l’objet de procédures strictes et encadrées, dans le plein et entier respect des victimes notamment. Ces diverses mesures peuvent être prononcées à tous les stades du processus pénal et lors de l’application de la peine. Le Canada a été un pays pionnier en la matière. Dans ce pays, les résultats notamment en matière de récidive sont probants (voir notamment les analyses et données du Service Correctionnel Canada, équivalent de l’Administration Pénitentiaire en France). En 2000, les premières médiations entre détenus et victimes étaient organisées au sein de différents établissements pénitentiaires en Belgique. Les premières expériences pilotes ont été reconnues comme suffisamment concluantes pour qu’en 2005, la Belgique introduise dans son Code de Procédure Pénale et dans son Code d’instruction Criminelle, des dispositions relatives à la médiation relevant de la justice restaurative.

Les expériences menées en France sont encore trop parcellaires : rencontres détenus-victimes à la Centrale de Poissy en 2010 et 2014, cercles de soutien récemment mis en place par le Service Pénitentiaire de Probation et d’Insertion des Yvelines. De nombreux professionnels de justice, des chercheurs, des associations attendaient plus que le simple mot de «restaurer» dans le projet de loi sur la prévention de la récidive et l’individualisation des peines, et que s’inscrive maintenant dans la loi le principe du recours aux mesures de justice restaurative à l’exemple de la législation belge. Dans quelques jours, peut-être.

L'article est également publié sur le site du Huffington Post.


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