Une amitié vitale
Le zen s’est transmis de génération en génération par la seule rencontre du cœur. Il ne peut aucunement s’apprendre dans les livres ou sur internet, car il ne relève pas d’un savoir. Même ce blog ne peut qu’inviter à la rencontre du cœur. Guère plus. Le maître enseigne, le disciple étudie, mais dans la véritable intimité des cœurs, l’enseignement comme l’étude sont dépassés. Une telle relation ne peut se nouer que dans la confiance mutuelle. Le disciple a confiance dans la bonté du maître. Le maître, lui, a confiance dans la capacité du disciple à toucher son propre cœur. L’un et l’autre font un pari sur l’avenir : qu’une vie authentique et éveillée est possible. Chacun s’y jettera totalement, sans faux-semblant, ni a priori ni jugement. Le maître et le disciple se mettent tous deux à nu, se dévoilent, s’exposent, se mettent en danger. Il y aura parfois des difficultés, des renoncements et des épuisements. Toute transformation a son prix. Les remises en cause sont parfois douloureuses – il y a tant de choses que l’on ne voudrait pas remettre en cause. Et puis il y aura des joies et des bonheurs. Le souci constant de l’enseignant est de trouver le mot juste, l’attitude qui va bouleverser son ami. Le bouleversement intérieur est rendu possible par ce jeu de miroirs qui ne cherchent plus à renvoyer des images mais au contraire à les faire éclater en pièces. C’est une relation nécessairement exigeante. Elle prendra du temps, mûrissant jour après jour, mois après mois, année après année.
Photographie : Ryôtan Tokuda (DR). Cliquez sur la vignette.
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Mots-clés : maître-disciple
Imprimer | Articlé publié par Eric le 22 Oct. 06 |
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le 23/10/2006
Ce billet me fait une impression bizarre, Eric : tu sembles parler de Tokuda, mais pour ainsi dire comme "en creux", sans jamais vouloir le nommer. Puis-je demander ce qu'il en est de ta relation avec Tokuda, de ton amitié spirituelle avec ce maître, aujourd'hui ?
le 23/10/2006
A chaque instant, Tokuda est présent dans mon cœur et en creux se dessine ici, en effet, l’hommage à cet homme du zen qui m’a bouleversé et me bouleverse toujours. Il m’a tout dit, il m’a tout appris, il m’a tout donné. Pendant des années, matin après matin, nous avons médité et récité les sûtras, le plus souvent seuls, lui et moi. Nous étions souvent fatigués, mais peu importait car la joie était là. Pourtant, il n’a jamais voulu entrer dans une relation formelle de maître et de disciple (à la japonaise). Son chemin est celui de la solitude ; le zen, l’exercice de la transparence. Un jour, revenant d’un voyage au Japon, il m’offrit un fac similé de la biographie du moine zen Tôsui publiée à la fin du 18e siècle. Ce n’est que quelques années après que je compris le sens de cet étrange cadeau. Tôsui, un jour, déserta son temple, laissant interrogatifs ses disciples. Je sais que Tokuda a toujours voulu l’émuler. Depuis plus d’une année maintenant, il s’est effacé et a cessé d’enseigner. Il est réparti au Japon. La dernière fois que je l’ai vu, c’était en juin 2005, pour la dernière journée de méditation qu’il donnait à Paris. Cet été, j’ai voulu le revoir puisque j’allais à Tôkyô mais personne n’avait son téléphone. J’ai renoncé, mais au fond ce n’est pas très grave, je pense à lui comme je sais qu’il pense à moi. J’y reviendrai.
Bonne journée, Eric
le 25/10/2006
"Il y aura parfois des difficultés, des renoncements et des épuisements. Toute transformation a son prix. Les remises en cause sont parfois douloureuses – il y a tant de choses que l’on ne voudrait pas remettre en cause. "
Je ne comprends pas bien ces mots. La vie est elle-même une suite de renoncements et d'épuisements. En quoi cette relation changerait-elle si la structure est la même ? Pourquoi y aurait-il peine ? Vous parlez de cette démarche comme d'une rédemption. Qu'y a-t-il à sauver ? Vous parlez de douleurs et de difficultés à méditer, vous évoquez maintenant les renoncements et les épuisements... mais se lever le matin pour prendre le métro est souvent douloureux, et la journée est souvent épuisante et faîte d'une suite interminable de renoncements. Le Zen ne serait que la répétition de cela mais de manière sublimée ? Et la relation avec le maître serait une relation de "je t'aime, moi non plus" ? Une sorte de psychothérapie de la souffrance par l'acceptation ?
Vous voyez je ne comprends pas bien ce que vous écrivez. Les mots sont difficiles.
Serge
le 25/10/2006
La pratique du zen n’est pas la simple poursuite des activités quotidiennes, avec son lot de plaisirs et de déplaisirs, mais plus fondamentalement un travail sur soi qui implique un arrachement à toutes ses compulsions, oser affronter ses faux-semblants et ses multiples compromis avec la réalité. S’y engager vraiment est loin d’être facile, mais ce n’est ni une rédemption (où serait la faute ?) ni une psychothérapie de la souffrance. Je trouve que cette forme de relation est assez similaire à celle qui lie un psychothérapeute et son patient. Je ne crois pas qu’on fasse une psychothérapie ou une psychanalyse pour souffrir, bien au contraire, puisque justement on veut en finir avec les difficultés qui entravent. Et pourtant, à voir réellement ce que d’habitude on ne voulait pas voir, on peut vaciller d’effroi.
Je sais que j’aborde dans ce billet l’un des points de l’enseignement du zen qui pose le plus de difficultés aux Occidentaux, la relation enseignant-étudiant, maître-disciple, comme on veut l’appeler. Elle apparaît parfois, souvent, comme l’impossible absolu, ou du moins fait-elle peur ? Mais pourquoi l’amour et l’amitié feraient-ils peur ? Tous les enseignants que j’ai côtoyés n’avaient qu’une idée en tête, me faire grandir, m’élever, et ils le faisaient dans le don total d’eux-mêmes.
Bonne journée,
Eric
le 25/10/2006
Il faut toujours un miroir puissant pour pouvoir s’en passer pendant la méditation.
Ce jeu de miroir, de repères, si bien étudié par Lacan permet d’étudier et surtout de s’étudier , d’être suffisamment stabilisé pour explorer une dimension hors de tout repères. On peut avoir un miroir réel à nos coté (un enseignant, un ami…) ou bien une relation distante que nous entretenons dans notre esprit (un ami disparu etc.…), ou bien, progressivement voir en chaque personne ou en chaque œuvre d’art ce repère si utile à notre perpétuel réajustement.
Sans quelque chose de cet ordre, il me semble que l’expérience de la méditation pourrait être dangereuse ou simplement stérile. Il me semble que le Zen comporte justement ces 2 aspects : un aspect de jeu de miroir avec l’autre pour se comprendre et pouvoir se changer et un autre aspect qui est un abandon volontaire de tout repère pour explorer une autre dimension.
Il me semble qu’il faille ces 2 aspects pour pouvoir avancer, un peu comme une inspiration et une expiration.
le 27/10/2006
l'amour...pur, l'amitié ne me font pas peur, nous en avons tous besoin je pense, et cela nous permet d'avancer. Ce qui me fais peur, c'est l'égoisme qui se cache parfois derrière.
Veuillez me pardonner s'il m'arrive d'être maladroite dans mes mots ou ma manière de m'exprimer, je laisse libre cours à ma spontanéité et ne suis que débutante.
le 28/10/2006
« l'amour...pur, l'amitié ne me font pas peur, nous en avons tous besoin je pense, et cela nous permet d'avancer. Ce qui me fais peur, c'est l'égoïsme qui se cache parfois derrière. »
C'est très intéressant.. mais il faudrait préciser un peu car cela apparaît paradoxal.
Il me semble percevoir malgré l’affirmation de non-peur un souhait de maintenir une distance par rapport à ces expériences (amour-amitié) due aux possibilités d’échecs attribués à l’égoisme. Tu parles aussi de pureté…d’idéalisme donc…
Si l’on espère rien de spécial et si la probabilité de l’échec n’est que ce qu’elle est… alors, bien souvent les choses sont plus simples et apparaissent… Mélange bien sûr d’ouverture simple du cœur façon Bouddhiste, et de de wu wei façon taoïste…… Bien sûr c’est plus facile à dire qu’à faire… )))
cela dit… c’est une belle occasion d’essayer de s’observer à travers le paradoxe que tu as formulé
le 29/10/2006
J'avais prévenu que j'étais maladroite dans mes mots... Cher Marc, je vais essayer de répondre le plus clairement possible. Je disais que ce qui me faisais peur était l'égoïsme, j'utilise une légère métaphore, l'égoïsme est comme le paradoxe partout autour de nous et en nous également. L'humain est ainsi fait. Lorsque je parle d'amour et d'amitié pure, je ne parle pas d'idéalisme, puisque cela existe. Lorsque je parle de pureté, je veux dire qu'il existe un "état" dénué d'orgueil, d'égoisme, de vanité, une fois dépouillé de tout cela l'amour/amitié est pure. Ce qui rejoint le sujet de base, celui de la relation maître/disciple. Pour qu'elle se réalise, chacun doit être "épuré", une sorte de mise à "nu" pour pouvoir partager l'un et l'autre de manière équitable ce qu'ils ont à partager. Le Maître apprend à l'élève et l'inverse aussi, au risque de choquer certains. Bref, c'est un lien d'amour "pur" qui se crée petit à petit, sans désirs, sans intérêts (dans le sens vouloir), un lien de confiance, de réel partage que l'on partagera part la suite au fil du temps. Simplement et naturellement.
Que votre journée soit douce
Marianne
le 30/10/2006
c'est ce qu'offre Eric lors des méditations qu'il dirige ou l'enseignement qu'il dispense.