La plupart des traditions religieuses sont fondées sur la croyance en un double monde : le monde d’ici, celui que nous connaissons, et un autre monde, en deçà ou au-delà du monde vivant, le plus souvent accessible après la mort. La vie religieuse est dès lors conçue comme une vie préparatoire ou annonciatrice de l’autre monde. Dans le zen, nous ne croyons pas à un autre monde. Quant à ce monde-ci, nous n’avons aucun jugement de valeur : Est-il bon ? Est-il mauvais ? Ces jugements, plutôt que de nous renseigner sur la réalité, la dissimulent à nos yeux obscurcis. Pratiquer la voie n’est rien d’autre qu’un mouvement qui nous entraîne à la compréhension et à la transformation de nous-mêmes et du monde.

Le pessimisme, souvent prêté au bouddhisme, est une merveilleuse invention pour nous empêcher de nous coltiner au réel. Le pessimisme est un regard « à distance », en retrait du monde, il y a ce que je suis et ce que le monde est. Hors la pratique du bouddhisme conduit à ressentir pleinement comme je ne suis jamais à distance du monde. Sans sujet, il n’y a pas d’objet. Sans objet, il n’y a pas de sujet. Le moi et le monde émergent dans un même processus cognitif. Il ne s’agit donc pas de se détacher du monde mais de le convertir (et de se convertir) par un mouvement intérieur. Dans le zen, nous disons qu’il nous faut « transformer la terre entière en or ».

Dans le premier chapitre du Sûtra de Vimalakîrti, Shâriputra le pessimiste se plaint de ne voir que ronces, épines et roches blessantes autour de lui. Le Bouddha Shâkyamuni presse alors le sol de son orteil, ce qui a pour effet de parer l’univers d’ornements précieux. Le Bouddha s’adresse alors à Shâriputra et lui dit : « Ô Shâriputra, contemple un instant la pureté de cette terre de Bouddha dans toute sa splendeur ! » Notre pratique consiste à presser l’orteil sur le sol que resplendisse toute la beauté du monde. Rien d’autre.

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