Ce dimanche 3 janvier, dans un débat consacré aux déboires de Tiger Woods diffusé sur la chaîne Fox News, Brit Hume, l'éditorialiste de la chaîne, donnait un conseil au golfeur comme seuls les journalistes américains savent le faire (vidéo ci-dessous) :

...Whether he can recover as a person depends on "his faith. He's said to be a Buddhist. I don't think that faith offers the kind of forgiveness and redemption that is offered by the Christian faith. So my message to Tiger would be, "Tiger, turn to the Christian faith and you can make a total recovery and be a great example to the world."

... Reprendre possession de lui-même ne dépendra que de "sa foi. Il a dit être bouddhiste. Je ne pense pas que cette foi-là offre le genre de pardon et de rédemption qui sont offerts par la foi chrétienne. Mon message à Tiger serait donc : «Tiger, tournez-vous vers la foi chrétienne et vous pourrez complètement guérir et être un grand exemple pour le monde. »"

Le conseil du célèbre éditorialiste est déjà longuement commenté sur les blogs américains.





Dans nos pays européens, on ne se convertit plus guère. Dans le mouvement où l'individu découvre et s’approprie une tradition religieuse, s’ouvre un champ où les systèmes de pensée peuvent se désagréger, se côtoyer, se remodeler, s’imbriquer mais non forcément s’exclure. L’adhésion (à un nouveau système) ne se confond plus avec la séparation ou le rejet (d’anciens systèmes). Les contradictions sont gérées, digérées plus qu’elles n’invalident la coexistence des systèmes. Pour la plus grande majorité des pratiquants, une telle « recomposition du croire » conduit simplement au « bricolage spirituel », pour reprendre la terminologie de la sociologie contemporaine, plus exceptionnellement à la double appartenance religieuse assumée, le bouddhisme et une religion du Livre par exemple, pourtant a priori incompatibles puisque le bouddhisme est athée.

Dans un remarquable article publié dans un ouvrage sur la double appartenance religieuse, le Français
Fabrice Blée, actuellement professeur à la Faculté de théologie de l’Université Saint-Paul d’Ottawa, relate et analyse son expérience de chrétien et de bouddhiste (Fabrice Blée, « Quelle voie chrétienne-bouddhiste ? » in Vivre de plusieurs religions : Promesse ou illusion ?, sous la direction de Dennis Gira et de Jacques Scheuer, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2000, p. 151-160). Il faut lire avec attention ce témoignage qui est celle de la subjectivité en acte. Le ton est donné dès les premières lignes, cette double appartenance assumée « se fonde sur une approche subjective, en ce sens qu’elle répond avant tout à un effort personnel d’auto-compréhension, en marge des normes ecclésiales et qui échappe à la plupart des cadres théologiques. » Le texte montre un homme de foi toujours à la pointe de l’interrogation intérieure tout en se refusant au syncrétisme. La tension que peut susciter la confrontation des deux systèmes est résolue en ramenant le christianisme sur le terrain d’une pensée et le bouddhisme sur celui d’une pratique, sur le fond d’ailleurs d’un dualisme de l’esprit et du corps résumé en ces termes : « Je n’ai cessé de mener de front études théologiques et pratique bouddhique. »

Fabrice Blée y définit son appartenance au bouddhisme comme le fait d’avoir adopté une pratique de méditation et d’être engagé dans une relation de maître à disciple. Dès lors, l’incompatibilité d’un christianisme et d’un bouddhisme athée s’efface, « dans son refus de parler d’un Dieu créateur, le bouddhisme écarte le risque d’en faire une réalité objective, et réduit du même coup tout dualisme auquel le chrétien se retrouve souvent en proie. » Si Fabrice Blée définit un système religieux comme l’interaction d’une tradition, d’une représentation du monde et d’une expérience religieuse, celui-ci montre que son propre rapport au bouddhisme est à l’inverse de son rapport au christianisme. Le premier part de l’expérience méditative (vécue comme une expérience d’intériorité animée d’un mouvement centrifuge), l’autre de la tradition (vécue comme une extériorité qui se donne dans un mouvement inverse, centripète) : « Je serais tenté d’emblée de dire que je fais partie du christianisme, mais que le bouddhisme fait partie de moi ; ou, pour le dire par défaut, d’un côté, je ne peux m’éloigner du christianisme, de l’autre, je ne peux éloigner de moi le bouddhisme. »

Cette confession, singulière par la posture prise et sa forme introspective, est cependant emblématique de la nouvelle subjectivation de l’expérience religieuse. Un article à lire ou à relire avec attention.

PS : La mère de Tiger Woods est thaïlandaise. Dans une interview donnée en 1996, il disait : "Je crois dans le bouddhisme, pas dans tout, mais dans la plupart de ses aspects. Je prends des morceaux. Je ne crois pas que des êtres humains puissent réaliser l'éveil suprême [du Bouddha], car l'homme a des faiblesses."

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