Si vous allez au Japon, vous entendrez souvent votre interlocuteur émailler son discours d’un hai expressif. Le mot signifie simplement "oui". Par contre vous ne l’entendrez jamais, ou presque, dire "non". Non pas que le mot n’existe pas, mais il n’est pas dans l’âme japonaise d’exprimer une opposition si franche et directe.

L’harmonie
, wa, est une valeur suprême au Japon. D’ailleurs, wa, signifie tout à la fois, "harmonie" et "japonais". On parle ainsi de washitsu 和室, "une chambre à la japonaise" (c’est-à-dire avec des tatamis), de waka 和歌, "les poèmes japonais" et de washoku 和食, "la nourriture japonaise". Les Japonais n’aiment guère dire non, car un non trop direct briserait l’harmonie des relations. Il faut donc savoir décoder leurs paroles ce qui, pour un Occidental, habitué aux réponses binaires, oui-non, est souvent difficile.

Je voudrais pourtant vous raconter l’histoire d’un non japonais. Elle met aux prises Kanshû Taisatsu (1556-1641), un maître de ma lignée. Ce maître a eu une longue histoire, il fut notamment l’abbé du monastère de Sôjiji, le siège de l’école sôtô, de 1617 à 1618. On dit qu’il avait un caractère trempé et qu’il mourut assis en méditation.

Taisatsu fut, entre autres, l’abbé du temple d’Eimeiji dans l’ancienne province de Shinano (aujourd’hui, la préfecture de Nagano). Eimeiji était un temple mémorial (bodaiji) dédié à la mémoire de la puissante famille des guerriers Suwa. Pendant les guerres civiles, tout le clan Suwa fut défait et son chef contraint de se suicider par éventration (seppuku). Son cousin germain Suwa Yoritada, se rallia ensuite au futur Tokugawa Ieyasu. Après la victoire définitive de Tokugawa et son installation comme généralissime (shogun), Yoritada fut autorisé à regagner les terres de sa famille. Il se retira alors dans un ermitage près du temple d’Eimeiji. Il mourut en 1605 et ses cendres furent déposées dans ce même temple. Son fils Suwa Yorimizu prit alors la tête du clan.

Pour des raisons qui restent obscures, les relations entre Yorimizu et Taisatsu étaient difficiles. Un jour (on était en l'an 1630), dame Kamehine, la fille de Yorimizu, écrivit une lettre à son père pour le convier à des festivités. Elle donna la missive à un fantassin, mais dès qu’il fut sorti de la maisonnée, ce dernier fut pris à parti par des valets d’arme, la lettre roula dans le ruisseau, et ne put évidemment être délivrée au seigneur. Ayant appris toute l’histoire, Yorimizu voulut punir le fautif, c’est-à-dire le tuer (en ces temps-là, on ne badinait pas), mais le fantassin était parti se réfugier au temple d’Eimeiji. Yorimizu arriva sur son cheval au temple, il interpella Taisatsu, qu’il lui livre le coupable. Mais Kanshû répondit simplement : "Non !"

On ne dit jamais non, surtout à son seigneur. Furieux, Kanshû fit alors déplacer la tombe de ses parents et incendia le temple dont il ne reste plus rien aujourd’hui. L’histoire ne dit pas ce que devint le fantassin. Kanshû, lui, retourna dans l'un de ses autres temples dans la province de Suruga, et ne remit plus les pieds dans la province de Shinano.

Une stèle a été érigée, voici quelques années à l'emplacement du temple d'Eimeiji (photographie ci-dessous). Pour se souvenir du "non" de Taisatsu ?


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