Reconquérir l'humain
Je l’ai déjà vu dix mille fois, mais ce spectacle m’étonne, m’afflige à chaque fois : dans le métro, une personne, serrée dans la foule, parle, hurle presque, dans son téléphone portable sans se préoccuper qu'elle dérange tout le monde. Le train roule. Mais là, collée à ses voisins, j’entends, les voyageurs, tous les voyageurs l’entendent détailler des faits extrêmement intimes de sa vie personnelle, des faits que même dans un autre contexte, on ne confierait qu’à des proches, et encore. Il y a de l’impudeur dans ses gestes, dans ces paroles, et pourtant dans cette foule, entourée de ces dizaines de gens, elle n’a aucune conscience de partager un espace commun. Du reste, personne, ne semble s’en émouvoir. La foule, par son anonymat, n’est plus qu’indistinction, ce ne sont que des corps en mouvement qui vont et viennent. Rien de plus.
Nous vivons aujourd’hui dans un monde où le rapport à l’autre devient de plus en plus sélectif, je rentre en rapport avec l’autre s’il m’est utile, s’il m’intéresse, sans cette utilité, l’autre n’existe plus. On ne peut ni parler d’individualisme ni même d’hyper-individualisme. Ce n’est plus le lien social qui se délite, c’est notre humanité qui s’effondre peu à peu.
Le bodhisattva, lui, entend reconquérir l’humain. Ses voeux, ne pas tuer, ne pas voler, ne pas avoir d’inconduite sexuelle, ne pas tenir de propos mensongers, trompeurs, malveillants, de double langage, ne pas convoiter, ne pas se mettre en colère, ne pas se méprendre sont autant de rappels autour desquels il articule sa méditation quotidienne : comment puis-je accomplir en mon corps, en ma parole, en mon esprit, c’est-à-dire dans toutes les dimensions de mon être, à chaque instant, l’authenticité d’une vie humaine ? Dans ce chemin, le bodhisattva ne voit que lui, lui, et encore lui ; nulle possibilité d’échapper à cette dimension d’être là dans son corps, dans sa parole, dans son esprit. Arrivé à cette conscience, il n’a plus qu’une possibilité, assumer cette position d’être là devant l’autre. Que va-t-il faire alors ?
Nous vivons aujourd’hui dans un monde où le rapport à l’autre devient de plus en plus sélectif, je rentre en rapport avec l’autre s’il m’est utile, s’il m’intéresse, sans cette utilité, l’autre n’existe plus. On ne peut ni parler d’individualisme ni même d’hyper-individualisme. Ce n’est plus le lien social qui se délite, c’est notre humanité qui s’effondre peu à peu.
Le bodhisattva, lui, entend reconquérir l’humain. Ses voeux, ne pas tuer, ne pas voler, ne pas avoir d’inconduite sexuelle, ne pas tenir de propos mensongers, trompeurs, malveillants, de double langage, ne pas convoiter, ne pas se mettre en colère, ne pas se méprendre sont autant de rappels autour desquels il articule sa méditation quotidienne : comment puis-je accomplir en mon corps, en ma parole, en mon esprit, c’est-à-dire dans toutes les dimensions de mon être, à chaque instant, l’authenticité d’une vie humaine ? Dans ce chemin, le bodhisattva ne voit que lui, lui, et encore lui ; nulle possibilité d’échapper à cette dimension d’être là dans son corps, dans sa parole, dans son esprit. Arrivé à cette conscience, il n’a plus qu’une possibilité, assumer cette position d’être là devant l’autre. Que va-t-il faire alors ?
Mots-clés : modernisme, préceptes
Imprimer | Articlé publié par Éric Rommeluère le 16 Nov. 07 |
le 17/11/2007
Bonjour à toi Eric et à tous les lecteurs de ton blog,
Quel joie de te retrouver et de "t'entendre" à nouveau. Je ne m'inquiétais à vrai dire pas outre mesure de ton silence prolongé connaissant ta prédilection pour "la disparition"... J'espère que tu te remets vite et sans trop de souffrance excessives.
Il y a deux jours, j'ai assisté à une scène similaire dans un petit café. Un homme d'affaires d'une cinquantaine d'année (costaud avec une tête sanguine de truand) réglait au téléphone ses comptes à voix tonitruante avec un de ses collaborateurs. Personne ne paraissait s'en offusquer. Je me suis levé et lui ai demandé de mettre en sourdine pour la simple raison que ses propos malintentionnés et agressifs dérangeaient tout le monde et que j'avais envie de déguster mon café en paix et continuer ma lecture sans être contraint de supporter sa colère. Miraculeusement, il a mis en sourdine. Autour, les clients m'ont regardé avec des remerciements dans les yeux. Oui, cette société est très malade, et la peur est un des symptômes les plus cuisants de cette maladie mortelle propagée par les valeurs faussées du "chacun pour soi" du mode de vie "libéral" occidental qui a fini par gangrener l'humanité. Chacun cherche à se protéger veulement, garder pour lui-même les misérables avantages acquis d'un confort insignifiant, quitte à se taire, s'applatir, à se dissimuler ou, au contraire, à "s'accapparer le plus d'espace et de pouvoirs possible", sans se soucier de l'environnement. Chez les uns et les autres (dominants/dominés), le mal est le même se cararactérisant essentiellement par une incapacité chronique à échanger vraiment, à donner, à vivre seul hors du brouhaha qu'impose le monde contemporain. Cette situation qui parait sans issue porte la confusion à son comble. Pourtant, un peu partout, au milieu du marasme général, des voix se font entendre, fraternelles, et solidaires. Des voix d'hommes et de femmes agissantes se rassemblent avec une volonté puissante de briser le cercle infernal. Des voix aimantes, conscientes, courageuses, porteuses d'harmonie et d'humanité profonde.
Depuis que je n'ai plus de domicile fixe, je réalise avec intenensité la tragédie qui se joue. Comme si la majorité hommes appelaient, sous couvert d'irresponsabilité collective, des catastrophes terribles afin de mettre fin à leurs maux les plus secrets, sans pour autant le reconnaître. Ainsi l'inertie finit-elle par atrophier jusqu'aux réactions de survie les plus naturelles et le coeur est étouffé par les cendres d'un sacrifice inconscient. Le bodhisattva lui ne renonce pas à sa vision d'un monde plus juste, dépourvu d'égoïsme. Il partage les haillons et l'ordinaire des pauvres gens. Il écoute sagement, va au-devant de ceux qui souffrent et leur prête main forte sans idée de retour, il trouve le regard, le mot ou le geste qui guérit. Il n'est pas seulement lui-même dans la mesure où il a dépassé le conditionnement égocentrique, et il se pourrait qu'il n'éprouve nullement le besoin insensé d'être quelqu'un de particulier. Il est passé outre les formes archaïques de possession. Lui aussi ne fait que passer, invisiblement... L'ultime question que tu poses, il nous faudra bien l'éprouver telle une brûlure. Avec toute mon amitié, André
le 21/11/2007
N' était-ce pas Shunryo Suzuki, qu'on avait demandé pourquoi, sur Sesshin, on prends le repas en silence? Sa réponse était: Parce qu'il est impossible de manger et de parler à la même temps.
Le "multitasking", dernier cri infantil, va passer de mode, sûrement, après quelque temps. N'inquiétons-nous pas.
Henning
le 25/11/2007
J’ai du mal à vous suivre. Vous semblez considérer que l’humanité fout le camp. Pourtant les relations à l’autre uniquement utilitaires et intéressées ont toujours existé et peut-être même, s’il faut établir des degrés, de manière bien pire que maintenant. Les gens odieux également.
Certes dans nos pays occidentaux, les sphères publiques et privées ainsi que les domaines de l’intime et du collectif sont bouleversés. (voir Alain Ehrenberg, L’individu incertain, Calmann-Lévy, Paris, 1995 ou La fatigue d’être soi – dépression et société, Odile Jacob, Paris, 1998) mais cela signifie-t-il pour autant que les relations humaines se détériorent ? Elles prennent simplement d’autres chemins. Les solidarités se réinventent autrement.
« Que va-t-il faire ? » demandez-vous. Ne va-t-il pas « faire », tout simplement, sans inquiétude, sans doute ni effort et sans affliction ? Car l’autre, même toujours en modification, n’a jamais changé fondamentalement.
le 29/11/2007
Prêter attention à chacun de ses actes. Simplement.
voir, par exemple, le lien suivant :
http://www.youtube.com/watch?v=6JfHB2cruJU
le 04/12/2007
Bonjour Eric,
Quand l'autre n'existe que pour moi, à proportion de ce qu'il peut m'apporter, c'est pire que s'il n'existait plus. A mon sens, c'est ça la vraie perversion: L'autre n'existe que pour satisfaire mon désir. Ses besoins propres, ses aspirations, le sens de ma relation avec lui, tout ça est changé, perverti.
Je regrette que les psychiatres ne creusent pas davantage cette notion. Elle est resté largement en friche sur le plan théorique, car le pervers souffre rarement, et donc consulte rarement.
Mais il fait beaucoup souffir les autres.
L'écoute serait donc le meilleur moyen de faire taire le petit pervers qui sommeille...
Amitiés à tous et toutes,
Georges