Quel bouddhisme – Pourquoi - Pour qui
Quel bouddhisme – Pourquoi - Pour qui : Une proposition européenne (extrait)
Un extrait d'un article de Giuseppe Jisô Forzani et Mauricio Yûshin Marassi reproduit avec leur aimable autorisation. Jisô Forzani et Yûshin Marassi enseignent dans la lignée de Uchiyama Kôshô (1912-1998). Jisô Forzani est actuellement directeur général de l'école Sôtô pour l'Europe. Lire le texte complet.
Le bouddhisme n’est pas une explication de la réalité, une cosmologie ou une philosophie herméneutique. Ce n’est pas non plus une utopie ou une doctrine sociale permettant de modeler la réalité. Ce n’est ni une doctrine ni une orthodoxie. Ce n’est pas une thérapie pour soigner le mal-être psychologique individuel. Le bouddhisme est la voie qui indique comment mettre en pratique l’expérience indifférenciée de l’homme et de…, du relatif et de l’absolu, du conditionné et de l’inconditionné, du fini et de l’infini. C’est une expérience de profonde unité qui ne peut être vécue que dans la foi, dans l’abandon et le renoncement à poser la pensée humaine comme détermination finale de la réalité.
Dans l’expérience chrétienne, la foi est un mouvement de l’esprit, un élan du cœur au-delà de lui-même, une ouverture inconditionnelle à Dieu. Dans le bouddhisme, la foi est une expérience vécue totalement avec le corps et l’esprit, un acte de confiance pur et serein sans la moindre construction d’un objet, laquelle, d’ailleurs, est toujours le premier pas vers l’aspiration pour se l’approprier. Cette expérience est synthétisée dans l’assise silencieuse, cet acte du corps, du mental et de l’esprit que nous appelons zazen. Zazen est l’acte de la foi, la foi en acte parce que c’est le moyen concret, la position du corps et de l’esprit qui met en pratique cette relation non duelle dans la simple assise. Dans une terminologie chrétienne, nous pouvons dire qu’en zazen Dieu et l’homme sont non deux, parce qu’en zazen on est libre de Dieu et du moi. Ou encore dans les paroles de Dôgen : 自己の身心および他己の身心をして脱落せしむるなり jiko no shinjin oyobi tako no shinjin wo shite datsuraku seshimuru nari – abandonner corps et esprit de soi-même et corps et esprit de l’autre. Ici la relation n’est pas soutenue par l’idée du moi ni du toi, la relation est elle-même identité et rien n’obstrue la liberté.
Cela – au moins dans un environnement de personnes qui pratiquent zazen depuis longtemps – n’est pas si difficile, du moins à comprendre. Bien plus difficile est la réalisation et la transmission de la qualité qui transforme le zazen en un acte religieux dans une vie religieuse, tout en le tenant à l’abri de devenir – comme cela a été le cas maintes fois – une voie de puissance, d’acquisition de pouvoir et, en définitive, une forme de vie soutenue par la mort. Cette qualité fait qu’on peut être grand seulement en demeurant petit, maître seulement en vivant comme un disciple, sans aucune velléité ni d’accumuler, ni d’apparaître ni de compter. Afin de jouer un rôle vital dans le processus historique actuel – au-delà des rituels de parade auxquels nous sommes invités ou nous participons « de façon qu’il y ait aussi les bouddhistes » aux tables plus ou moins rondes du banquet « interreligieux », pour avoir droit si possible à un morceau de tarte – une profonde réforme de l’intérieur est avant tout nécessaire. Il faudra progressivement abandonner la dérive formaliste, hiérarchique et ecclésiastique qui est en train d’absorber tant de notre énergie, revitaliser la spiritualité de la simplicité et de la gratuité, la culture du cœur innocent au lieu de consolider la volonté de puissance. Sans la capacité, avant tout, de convertir notre cœur, notre présumée capacité à pratiquer zazen n’aura aucun sens et cela pourra finir par devenir – comme beaucoup de signes l’indiquent et le démontrent déjà – une autre proie que le monde de l'accumulation et du « mien » serait bien heureux d'absorber pour en faire un autre instrument raffiné.
La tradition n’est pas une force d’inertie ni la répétition mécanique de gestes et façons de faire stéréotypées, la transmission n’est pas l’appropriation de modèles ni l’exhibition personnelle de certificats et documents. Prendre soin de la génération présente et à venir n’équivaut pas à consolider l’atteinte d’une quelconque position et à protéger son troupeau. La réforme incessante qui fait bouger la roue du dharma est le retour même à ce vide vital chaque fois qu’elle risque de s’embourber dans le calcul des bénéfices et des profits.
Photographie : Jisô Forzani.
Un extrait d'un article de Giuseppe Jisô Forzani et Mauricio Yûshin Marassi reproduit avec leur aimable autorisation. Jisô Forzani et Yûshin Marassi enseignent dans la lignée de Uchiyama Kôshô (1912-1998). Jisô Forzani est actuellement directeur général de l'école Sôtô pour l'Europe. Lire le texte complet.
Le bouddhisme n’est pas une explication de la réalité, une cosmologie ou une philosophie herméneutique. Ce n’est pas non plus une utopie ou une doctrine sociale permettant de modeler la réalité. Ce n’est ni une doctrine ni une orthodoxie. Ce n’est pas une thérapie pour soigner le mal-être psychologique individuel. Le bouddhisme est la voie qui indique comment mettre en pratique l’expérience indifférenciée de l’homme et de…, du relatif et de l’absolu, du conditionné et de l’inconditionné, du fini et de l’infini. C’est une expérience de profonde unité qui ne peut être vécue que dans la foi, dans l’abandon et le renoncement à poser la pensée humaine comme détermination finale de la réalité.
Dans l’expérience chrétienne, la foi est un mouvement de l’esprit, un élan du cœur au-delà de lui-même, une ouverture inconditionnelle à Dieu. Dans le bouddhisme, la foi est une expérience vécue totalement avec le corps et l’esprit, un acte de confiance pur et serein sans la moindre construction d’un objet, laquelle, d’ailleurs, est toujours le premier pas vers l’aspiration pour se l’approprier. Cette expérience est synthétisée dans l’assise silencieuse, cet acte du corps, du mental et de l’esprit que nous appelons zazen. Zazen est l’acte de la foi, la foi en acte parce que c’est le moyen concret, la position du corps et de l’esprit qui met en pratique cette relation non duelle dans la simple assise. Dans une terminologie chrétienne, nous pouvons dire qu’en zazen Dieu et l’homme sont non deux, parce qu’en zazen on est libre de Dieu et du moi. Ou encore dans les paroles de Dôgen : 自己の身心および他己の身心をして脱落せしむるなり jiko no shinjin oyobi tako no shinjin wo shite datsuraku seshimuru nari – abandonner corps et esprit de soi-même et corps et esprit de l’autre. Ici la relation n’est pas soutenue par l’idée du moi ni du toi, la relation est elle-même identité et rien n’obstrue la liberté.
Cela – au moins dans un environnement de personnes qui pratiquent zazen depuis longtemps – n’est pas si difficile, du moins à comprendre. Bien plus difficile est la réalisation et la transmission de la qualité qui transforme le zazen en un acte religieux dans une vie religieuse, tout en le tenant à l’abri de devenir – comme cela a été le cas maintes fois – une voie de puissance, d’acquisition de pouvoir et, en définitive, une forme de vie soutenue par la mort. Cette qualité fait qu’on peut être grand seulement en demeurant petit, maître seulement en vivant comme un disciple, sans aucune velléité ni d’accumuler, ni d’apparaître ni de compter. Afin de jouer un rôle vital dans le processus historique actuel – au-delà des rituels de parade auxquels nous sommes invités ou nous participons « de façon qu’il y ait aussi les bouddhistes » aux tables plus ou moins rondes du banquet « interreligieux », pour avoir droit si possible à un morceau de tarte – une profonde réforme de l’intérieur est avant tout nécessaire. Il faudra progressivement abandonner la dérive formaliste, hiérarchique et ecclésiastique qui est en train d’absorber tant de notre énergie, revitaliser la spiritualité de la simplicité et de la gratuité, la culture du cœur innocent au lieu de consolider la volonté de puissance. Sans la capacité, avant tout, de convertir notre cœur, notre présumée capacité à pratiquer zazen n’aura aucun sens et cela pourra finir par devenir – comme beaucoup de signes l’indiquent et le démontrent déjà – une autre proie que le monde de l'accumulation et du « mien » serait bien heureux d'absorber pour en faire un autre instrument raffiné.
La tradition n’est pas une force d’inertie ni la répétition mécanique de gestes et façons de faire stéréotypées, la transmission n’est pas l’appropriation de modèles ni l’exhibition personnelle de certificats et documents. Prendre soin de la génération présente et à venir n’équivaut pas à consolider l’atteinte d’une quelconque position et à protéger son troupeau. La réforme incessante qui fait bouger la roue du dharma est le retour même à ce vide vital chaque fois qu’elle risque de s’embourber dans le calcul des bénéfices et des profits.
Photographie : Jisô Forzani.
Mots-clés : Dôgen, Jisô Forzani
Imprimer | Articlé publié par Jiun Éric Rommeluère le 10 Fév. 10 |