Evidemment le texte de David Loy suscite quelques fortes réactions. Pour avoir potassé mon petit Loy illustré et conversé avec lui depuis quelques années, je peux vous assurer que le bonhomme mérite une réelle attention même si ses formules à l’emporte-pièce et son écriture sont parfois désespérantes.

Membre du Think Sangha, il est l’un des rares américains qui ne verse pas dans la pure naïveté en matière de bouddhisme engagé. Il y a quelques années ses travaux portaient sur l’identité humaine (Lack and Transcendence: The Problem of Death and Life in Psychotherapy, Existentialism, and Buddhism, Atlantic Highlands, New Jersey, Humanities Press, 1996). Depuis lors, il s’intéresse surtout aux ressorts du capitalisme américain. Le bouddhisme, les philosophies existentielles anglo-saxonnes et la réflexion économique sont ses principales références.

Son analyse est la suivante : il nous faut étendre l’analyse bouddhiste de la constitution de l’identité aux groupes sociaux comme les multinationales et les Etats modernes. Des groupes sociaux peuvent être ou bien égarés ou bien éveillés. Les moteurs des sociétés égarées sont, comme pour les individus, l’avidité, la haine et l’ignorance (en termes bouddhistes, les trois poisons). Aujourd’hui, la société de l’ultra-consommation et le profit à tout prix, la course aux armements et la justice punitive, la publicité et l’infospectacle, forment les trois mamelles empoisonnées de nos sociétés. Finalement, comme bouddhistes, nous devons travailler à l’établissement d’une société éveillée par la conscience puis l’épuisement de ces poisons. Il s’agit grosso modo de l’armature de tous ses récents articles qui deviennent assez redondants ces derniers temps. Voir par exemple "Qu'y a-t-il de bouddhiste dans le bouddhisme socialement engagé ?"

Depuis peu, le ton de Loy se fait de plus en plus virulent. Sans doute faut-il lire ses maladresses comme une tentative d’interpeller plus fortement encore ses compatriotes. Dans un autre ordre d’idée, j’avais moi-même trouvé choquant Fahrenheit 9/11, le film de Michael Moore, palme d’Or au festival de Cannes 2004. De mon point de vue, disons "européen", le ton particulièrement outrancier du documentaire décrédibilisait complètement son enquête sur George Bush. Mais il faut sans doute ce genre d’adresse pour être entendu aux Amériques. L’article de Loy doit être remplacé et compris dans son contexte américain.

J’entends surtout ici une tentative de dire "non". Non aux habitudes. Non à l’inertie. Non aux bouddhistes qui usent de la vacuité comme d’un argument pour le laisser-faire et la démission. Malheureusement, je n’entends que trop souvent moi aussi cet argument fallacieux du genre "tout est vide, donc tout est vain". Non, le bouddhisme n’est pas un nihilisme : L’écoute réelle, la contemplation du monde nous invite, non seulement à le chérir mais à nous y engager. Car, en effet, je ne suis rien d'autre que ce monde.

 

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