Thomas, hier, s’étonne que je ne cite guère Taisen Deshimaru. Tout simplement parce que ma lignée d’enseignement est différente et que je ne poursuis pas ses enseignements. À trop en parler, cela ne pourrait que créer de la confusion, même si je le respecte comme mon premier maître. Il vaut toujours mieux témoigner de ce que l’on transmet plutôt de ce que l’on ne transmet pas. Les méthodes, les instructions varient parfois d’une façon importante, même au sein d’une tradition comme le zen. Je crois nécessaire que chaque étudiant sonde ce qui unit mais aussi ce qui différencie chaque lignée. Et lorsqu’on suit soi-même des enseignements de ne pas les mélanger avec d’autres, au risque de dénaturer et les uns et les autres.

Après la mort de Taisen Deshimaru en 1982, j’ai longuement suivi un maître de vie dont j’espère poursuivre la voie. Il résumait ainsi sa pratique : «Oublier le corps, oublier la respiration, oublier le mental et entrer dans le samâdhi.» Deshimaru avait, lui, d’autres instructions. Il considérait la méditation comme un lieu d’émergence de l’inconscient. Il utilisait souvent l’expression «penser du tréfonds de la non-pensée» qu’il avait créé d’après un célèbre dialogue commenté par Dôgen :

Une fois que le maître Yaoshan Weiyan était assis, un moine lui demanda : «À quoi pensez-vous ainsi immobile ?» Le maître répondit : «Je pense l’impensé». «Comment pense-ton l'impensé ?» le maître répondit : «Ce n'est pas penser.» (*)

L’impensé (fushiryôtei) équivaut à son synonyme l’impensable (fukashiryô). Penser l’impensable est quelque chose qui ne se peut. L’ultime est donc l’abandon de la pensée.

Dans Zen et Cerveau, un échange de lettres avec le professeur Paul Chauchard, publié en 1976, Taisen Deshimaru traduisait justement : «Penser à ne pas penser. Comme pense-t-on à ne pas penser ? Non-pensée!» (p. 41).

Comme beaucoup de Japonais du siècle passé, Taisen Deshimaru avait intégré nombre de concepts de la psychologie occidentale. Je ne sais quand il forge cette formule «penser du tréfonds de la non-pensée». Ordinairement, il disait d'ailleurs plutôt «Thinking from non-thinking».

Mais remplacer «penser à» par «penser de» modifie radicalement la perspective et propose indirectement une méthode de méditation : laisser émerger l'inconscient sous forme de pensées, d'images ou de sensations qu'on laisse se produire puis disparaître. Et c’est ainsi que Taisen Deshimaru vivait et enseignait la méditation, comme une forme de pensée sans penseur.

L’enseignement que je poursuis est différent : Il s’agit de demeurer dans la nudité de l'esprit sans ajout ni modification. Le miroir est vide.

(*) Carl Bielefeldt traduit pour le Soto Zen Text Project : Once, when the Great Master Hongdao of Yueshan was sitting [in meditation], a monk asked him, «What are you thinking of, [sitting there] so fixedly?» The master answered, «I'm thinking of not thinking.» The monk asked, «How do you think of not thinking?» The Master answered, "Nonthinking." (Voir ici ses explications détaillées).

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