Notre groupe, Un Zen Occidental, est constitué en association régie par la loi du 1er juillet 1901. Une association est un contrat de droit privé où, en contrepartie d’une cotisation, d’une participation, de différentes obligations, l’adhérent a « droit » à des services. Si notre groupe a évidemment besoin d’une structure et de participations pour régler ses frais de fonctionnement, il ne peut-être fondé sur une économie contractuelle. Un groupe zen doit échapper toutes les règles du sens commun et aucun contrat ne saurait le régir : Il ne propose ni stage de formation ni séminaire ni un quelconque service en échange d’un temps passé ou d’une somme donnée. Il offre juste un espace vide où l’on s’exerce avec patience et douceur à perdre. Oui, perdre ! Nos regrets, nos culpabilités, nos préjugés, nos égarements, nos projections nous entravent durablement dans l’art délicat d’être vivant. Dans cette pratique de la méditation, nous nous exerçons à les délaisser un par un, établis dans l’Ouvert. Nous n’avons rien à maîtriser, rien à attendre, l’inconnu est notre demeure. Nous sommes également des êtres humains qui partageons la vie avec d’autres êtres humains. Un groupe zen est, en ce sens, un lieu extraordinaire : ni le jugement ni la séduction ni la stratégie ni la manipulation n’y ont leur place. Chacun s’efforce de préserver cet espace sacré. L’exercice est difficile car il va à l’encontre de nos fonctionnements ordinaires. Il demande une réelle puissance. Les chinois appelaient les hommes et les femmes du zen des dragons et des éléphants, car ils sont habités par une force intérieure qui les fait comparer à ces animaux.

Un célèbre kôan raconte qu’une fois, un maître chinois rencontra Mañjushrî, le bodhisattva de la sagesse. Mañjushrî lui demanda comment se pratiquait le bouddhisme dans le sud de la Chine. Le maître dit : « En cet âge de la fin du dharma, peu de moines s’attachent à la discipline. » Puis ce dernier demanda à Mañjushrî comment se pratiquait le bouddhisme dans son propre espace. Mañjushrî lui répondit simplement : « Le sage et le vulgaire vivent ensemble, les dragons et les serpents sont mêlés. » Parfois, je me désole comme ce moine chinois de l’affaiblissement de la pratique du zen. Mais je dois, moi aussi, entendre la leçon de Mañjushrî : « le sage et le vulgaire vivent ensemble, les dragons et les serpents sont mêlés. » Le sage n’est pas supérieur au vulgaire, le vulgaire n’est pas inférieur au sage, ils partagent une même identité. Dans un monde où pourtant les dragons paraissent bien différents des serpents, ils n’ont d’autre tâche que de témoigner simplement de la vie et des mœurs des dragons. Les serpents et les dragons se rencontrent lorsqu’ils se mettent les uns et les autres à l’écoute de l’appel. Car, nous le savons bien, un appel résonne dans nos vies. Il ne se trouve ni à l’intérieur ni à l’extérieur de nous-mêmes. Il est dans chaque instant, dans chaque expérience, là où l’intérieur et l’extérieur sont d’emblée réunis, là où le sage et le vulgaire vivent ensemble. Nous ne savons pas vraiment ce qui nous interpelle, nous ne savons pas à quoi nous sommes appelés. Et pourtant, nous connaissons tous cet appel. Dans le langage dragon : ce qui nous interpelle se dit « la grande question de la vie et de la mort », ce à quoi nous sommes appelés se nomme « la vie éveillée ».

Les mains jointes.

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