Le monde est fait d'histoires
David Loy, The World is made of Stories, Wisdom Publications, 2010, 116 pages.
« Le monde est fait d’histoires » (The World is made of Stories) est le dernier livre de David Loy. Dans sa très courte préface, il présente son livre comme « une nouvelle façon de comprendre le bouddhisme et une nouvelle compréhension bouddhiste du chemin. » Il s’agit d’une méditation sur la dimension narrative et fictionnelle de l’identité. Loy fait résonner d’une façon originale la pratique centrale du bouddhisme – la reconnaissance de la vacuité – avec les philosophies occidentales du langage et l’herméneutique. Bien qu’il s’agisse d’un livre qui puise à la fois dans la philosophie et le bouddhisme, il ne requiert pas ou peu de culture dans ces domaines. Comme l’illustre le titre, le style est simple et accessible : on ne parle ici que d’histoires. Même s’il se risque au détour d’une page à évoquer des distinctions de la philosophie contemporaine, ce n’est que fort brièvement et par allusions. Il mentionne par exemple la différence que fait Paul Ricœur entre ipséité et mêmeté (dans Soi-même comme un autre), celle de Paul Tillich entre le mythe vivant et le mythe brisé, celle de Jean-Paul Sartre entre le pour-soi et l’en-soi. Ces allusions fonctionnent comme de brefs repères qui à peine signalés, s’évanouissent. Elles n’alourdissent nullement la lecture, même pour le néophyte. Éventuellement, il pourra les approfondir – ou pas.
Le livre est bref, à peine une centaine de pages. Sa structure est inhabituelle puisqu’il est composé de fragments qui alternent avec des citations empruntées à la littérature mondiale qui leur font écho. Ce procédé d’écriture rend le livre vivant, accessible et incisif. Bien qu’ils construisent, dans leur agencement, une argumentation, chaque fragment de David Loy se suffit à lui-même. Ils sont courts, parfois une simple phrase, une demi-page pour les plus longs. Ils prennent la forme d’aphorismes à méditer : « Dire que nous ne pouvons rien dire du nirvâna, c’est dire quelque chose du nirvâna. » (p. 8). Les citations sont également choisies pour leur qualité aphoristique. Un exemple : « La théologie est une branche de la littérature fantastique. » (Jorge Luis Borges, p. 13). La sélection des auteurs est fort variée : on y retrouve évidemment des philosophes, tout particulièrement ceux qui ont renouvelé la pensée contemporaine comme Nietzsche, Wittgenstein, Ricœur, Arendt ou MacIntyre, des maîtres de spiritualité, qu’ils soient bouddhistes (Nâgârjuna, Dôgen) ou qu’ils appartiennent à d’autres traditions (Maître Eckhart, Ibn’Arabî), mais également ceux qui font profession de raconter des histoires, des écrivains et des romanciers comme Shakespeare, Philip K. Dick ou Susan Sontag. Ces choix ont leur signification : nous partageons tous des histoires.
Ces fragments-citations sont regroupés en quatre chapitres dont l’enchaînement est peu marqué. « Au commencement étaient les histoires », le premier chapitre introductif, explore la dimension narrative de nos vies, comment nous vivons, comment nous vibrons, comment nous nous construisons par et pour des histoires. Le monde n’est pas un ensemble de faits mais une façon de les interpréter. Se changer, se transformer suppose une nouvelle façon de se raconter sa propre histoire. Le second chapitre « Une vie contée » explore comment les modèles narratifs nous modèlent dans notre concrétude, pour le meilleur comme pour le pire : « Lorsque qu’une jeune anorexique se regarde dans le miroir et qu’elle ne voit que des kilos en trop, elle se regarde dans un récit de société sur l’attirance et la sexualité. Une possibilité de guérison : Se rendre compte qu’elle peut changer cette histoire et le rôle qu’elle y joue.» (fragment cité in extenso, p. 26). Quelques réflexions critiques développées par Loy dans d’autres ouvrages, comme la marchandisation du monde et l’aliénation de la conscience, sont brièvement évoquées. Dans ce second chapitre, il aborde la question de la transformation ou plutôt de la libération de soi dans une perspective plus bouddhiste. La possibilité de la libération repose sur l’absence de fixité (no-thing-ness écrit Loy, l’inexistentialité) et sa reconnaissance. Le troisième chapitre, « Le pouvoir des histoires, les histoires de pouvoir », porte sur les idéologies et la force de leur pouvoir narratif. Le quatrième chapitre, « Les grandes histoires » est consacré aux méta-récits que forment plus particulièrement les religions. On le voit, Loy s’intéresse surtout à la dimension sociale et culturelle des formes narratives et comment elles informent collectivement les sociétés. Le fil conducteur est la question (fort bouddhiste) de l’enchaînement et de la libération : comment des histoires, des récits, des mythes, des idéologies peuvent autant nous libérer que nous meurtrir.
Le livre s’adresse à tout lecteur intéressé par le bouddhisme et/ou la philosophie. Son écriture montre aussi que le bouddhisme peut aujourd’hui se penser autrement, et s’ouvrir à la pensée occidentale, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités.
« Le monde est fait d’histoires » (The World is made of Stories) est le dernier livre de David Loy. Dans sa très courte préface, il présente son livre comme « une nouvelle façon de comprendre le bouddhisme et une nouvelle compréhension bouddhiste du chemin. » Il s’agit d’une méditation sur la dimension narrative et fictionnelle de l’identité. Loy fait résonner d’une façon originale la pratique centrale du bouddhisme – la reconnaissance de la vacuité – avec les philosophies occidentales du langage et l’herméneutique. Bien qu’il s’agisse d’un livre qui puise à la fois dans la philosophie et le bouddhisme, il ne requiert pas ou peu de culture dans ces domaines. Comme l’illustre le titre, le style est simple et accessible : on ne parle ici que d’histoires. Même s’il se risque au détour d’une page à évoquer des distinctions de la philosophie contemporaine, ce n’est que fort brièvement et par allusions. Il mentionne par exemple la différence que fait Paul Ricœur entre ipséité et mêmeté (dans Soi-même comme un autre), celle de Paul Tillich entre le mythe vivant et le mythe brisé, celle de Jean-Paul Sartre entre le pour-soi et l’en-soi. Ces allusions fonctionnent comme de brefs repères qui à peine signalés, s’évanouissent. Elles n’alourdissent nullement la lecture, même pour le néophyte. Éventuellement, il pourra les approfondir – ou pas.
Le livre est bref, à peine une centaine de pages. Sa structure est inhabituelle puisqu’il est composé de fragments qui alternent avec des citations empruntées à la littérature mondiale qui leur font écho. Ce procédé d’écriture rend le livre vivant, accessible et incisif. Bien qu’ils construisent, dans leur agencement, une argumentation, chaque fragment de David Loy se suffit à lui-même. Ils sont courts, parfois une simple phrase, une demi-page pour les plus longs. Ils prennent la forme d’aphorismes à méditer : « Dire que nous ne pouvons rien dire du nirvâna, c’est dire quelque chose du nirvâna. » (p. 8). Les citations sont également choisies pour leur qualité aphoristique. Un exemple : « La théologie est une branche de la littérature fantastique. » (Jorge Luis Borges, p. 13). La sélection des auteurs est fort variée : on y retrouve évidemment des philosophes, tout particulièrement ceux qui ont renouvelé la pensée contemporaine comme Nietzsche, Wittgenstein, Ricœur, Arendt ou MacIntyre, des maîtres de spiritualité, qu’ils soient bouddhistes (Nâgârjuna, Dôgen) ou qu’ils appartiennent à d’autres traditions (Maître Eckhart, Ibn’Arabî), mais également ceux qui font profession de raconter des histoires, des écrivains et des romanciers comme Shakespeare, Philip K. Dick ou Susan Sontag. Ces choix ont leur signification : nous partageons tous des histoires.
Ces fragments-citations sont regroupés en quatre chapitres dont l’enchaînement est peu marqué. « Au commencement étaient les histoires », le premier chapitre introductif, explore la dimension narrative de nos vies, comment nous vivons, comment nous vibrons, comment nous nous construisons par et pour des histoires. Le monde n’est pas un ensemble de faits mais une façon de les interpréter. Se changer, se transformer suppose une nouvelle façon de se raconter sa propre histoire. Le second chapitre « Une vie contée » explore comment les modèles narratifs nous modèlent dans notre concrétude, pour le meilleur comme pour le pire : « Lorsque qu’une jeune anorexique se regarde dans le miroir et qu’elle ne voit que des kilos en trop, elle se regarde dans un récit de société sur l’attirance et la sexualité. Une possibilité de guérison : Se rendre compte qu’elle peut changer cette histoire et le rôle qu’elle y joue.» (fragment cité in extenso, p. 26). Quelques réflexions critiques développées par Loy dans d’autres ouvrages, comme la marchandisation du monde et l’aliénation de la conscience, sont brièvement évoquées. Dans ce second chapitre, il aborde la question de la transformation ou plutôt de la libération de soi dans une perspective plus bouddhiste. La possibilité de la libération repose sur l’absence de fixité (no-thing-ness écrit Loy, l’inexistentialité) et sa reconnaissance. Le troisième chapitre, « Le pouvoir des histoires, les histoires de pouvoir », porte sur les idéologies et la force de leur pouvoir narratif. Le quatrième chapitre, « Les grandes histoires » est consacré aux méta-récits que forment plus particulièrement les religions. On le voit, Loy s’intéresse surtout à la dimension sociale et culturelle des formes narratives et comment elles informent collectivement les sociétés. Le fil conducteur est la question (fort bouddhiste) de l’enchaînement et de la libération : comment des histoires, des récits, des mythes, des idéologies peuvent autant nous libérer que nous meurtrir.
Le livre s’adresse à tout lecteur intéressé par le bouddhisme et/ou la philosophie. Son écriture montre aussi que le bouddhisme peut aujourd’hui se penser autrement, et s’ouvrir à la pensée occidentale, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités.
Mots-clés : David Loy, interprétation
Imprimer | Articlé publié par Jiun Éric Rommeluère le 21 Juin 11 |