Les 28 et 29 octobre 2013, l’Administration Pénitentiaire proposait à Paris, dans les locaux de Sciences Po qui co-organisait l’événement, deux journées d’études consacrées au fait religieux en prison (sous le titre «Le fait religieux en prison : Configurations, apports, risques»). Les journées, denses par le nombre d’interventions, privilégiaient les analyses et les réflexions de sociologues. La teneur des exposés, leur variété, la parole pondérée mais libre des chercheurs, les plaçaient naturellement dans une posture d’interrogation sinon d’interpellation des pouvoirs publics. Ces adresses n’ont évidemment pas échappé à l’ensemble des acteurs du monde carcéral présents à ces journées, l’Administration Pénitentiaire en premier. Au demeurant, la forme du programme, la libre parole des uns et des autres laissait entendre une volonté explicite de l’Administration de se laisser ainsi questionner.

Les différentes études présentées, menées en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie, en Suisse et aux États-Unis soulignaient l’hétérogénéité des approches et des traitements du religieux en prison ; elles démontraient aussi l’absence de tout modèle de référence, y compris au sein de l’Union Européenne. Dans le cadre de ces deux journées, elles permettaient particulièrement de mettre en relief le travail d’envergure conduit par trois sociologues français, Céline Béraud, Claire de Galembert et Corinne Rostaing dans les prisons françaises. Leur présentation à trois voix constituait en effet le point d’orgue de ce colloque. Leur enquête, commandée, facilitée et encouragée par l’Administration Pénitentiaire, a duré trois ans. Leur enquête de terrain s’est achevée en 2012 et a abouti à la remise d’un rapport de six cents pages intitulé «Des hommes et des dieux en prison» (non encore disponible sous forme de publication). D’emblée, les chercheurs n’ont pas souhaité réduire leurs travaux à un terrain particulier - le trop attendu «l’Islam en prison» - mais au contraire de les étendre à l’ensemble du phénomène religieux en milieu carcéral. Au croisement de toutes les représentations et de toutes les actions, la figure de l’aumônier est ainsi devenu le sujet privilégié de leur étude, les sociologues s’attachant à cerner son rôle réel, son intégration dans l’espace carcéral et les perceptions qui l’accompagnent.

La place de l’aumônier dans les prisons françaises s’est construite dans la référence au modèle catholique. Dans leurs perspectives et leur terminologie, les textes législatifs et réglementaires toujours en vigueur restent largement imprégnés de ce modèle. Au début du XXe siècle, l’aumônier était l’indispensable auxiliaire de la justice au service de la réhabilitation morale et de la conscience de la peine. Un siècle après et plus encore ces vingt dernières années, les évolutions sont réelles et notables. Elles sont évidemment liées à la sécularisation du monde contemporain, aux nouvelles représentations de l’identité ainsi qu’à l’apparition de nouvelles traditions spirituelles sur le sol français. Aujourd’hui, les aumôneries carcérales sont multi-confessionnelles, à la fois catholiques, protestantes, juives mais aussi musulmanes, orthodoxes et bouddhistes.

Dans la pratique, ces mutations reconfigurent le rôle de l’aumônier qui n’est d’ailleurs plus, dans la plupart des cas, un clerc religieux. Sa fonction n’est plus en effet de soutenir la normalisation du détenu (lui faire accepter sa peine, l’amender) mais plutôt de participer à une œuvre collective de reconstruction de l’individu, à la fois dans ses capacités et dans son identité propre. Tout autant que d’autres intervenants, il s’adresse à restaurer sa capacité d’autonomie, indépendamment même de l’origine ou du parcours religieux des personnes qu’il côtoie. Malgré les différences entres les cultes, l’étude sociologique montre que les aumôniers des différentes traditions, loin de se percevoir en concurrence adoptent en effet une pratique coopérative de soutien et d’accompagnement des individus.

À la différence du monde extérieur, dans l’espace carcéral l’homme ou la femme de religion se perçoit et est perçu comme l’une des ressources d’un processus qu’il faut bien qualifier non de réinsertion mais bien de regénération. La figure de l’aumônier y est particulièrement valorisée. Fait notable : le nombre d’aumôniers en activité dans les prisons françaises a doublé au cours des quinze dernières années alors même que leur agrément et leurs obligations sont rigoureusement encadrés par le législateur. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cette augmentation n’est nullement imputable à l’émergence des aumôneries musulmanes et concerne tous les cultes.

Évidemment, le glissement ou l’élargissement du rôle de l’aumônier crée des incertitudes ou des inconforts parmi les aumôniers eux-mêmes, avec parfois des différences nettes selon les cultes concernés. Aujourd’hui, des aumôniers revendiquent leur activité comme une œuvre civique et demandent une professionnalisation de leur statut (avec le salariat qui y serait attaché). D'autres en revanche, refusent toute forme de professionnalisation de cette fonction.

Un nouveau modèle (ministère) d’aumôneries, inconnu du grand public, a bien émergé dont rend compte cette étude sociologique et dont on attend avec impatience la publication. En tout cas, l’Administration Pénitentiaire l’a bien compris : le statut de l’aumônier, son rôle, mais aussi son mode d’indemnisation (*), est l’un de ses prochains chantiers.

(*) Actuellement, une partie des aumôniers en exercice reçoit des vacations pour couvrir leurs frais, notamment de transport.

Lire un compte rendu détaillé du colloque sur le blog de Jacky Tronel.

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