Le bouddhisme incite-t-il aussi à la non-violence ?
Le bouddhisme s'acculture en France et pourtant cette tradition reste encore bien mal comprise dans la sphère publique. On l'assimile le plus souvent à une autre religion avec son cortège de croyances et de commandements. Le bouddhisme n'a pourtant rien d'un système de croyances et toute tentative de le rapprocher de l'une ou l'autre de nos catégories manque nécessairement sa singularité et sa différence. Son objectif fondamental est l'exploration et le dénouement des angoisses, non pas les souffrances psychologiques personnelles, mais les peurs et les angoisses existentielles que partage tout être humain, qu'il s'agisse de la peur de mourir ou la peur de ne pas être aimé. Ses enseignements en sondent les ressorts, ils montrent aussi comment ces peurs produisent des systèmes de représentation et, dans le champ social, des idéologies. Un bouddhiste se définit, non par l'adhésion à des croyances, mais par un double entraînement à dénouer ses peurs et à prendre soin du monde dans les différentes sphères personnelles, interpersonnelles ou sociales. L'un de ses tout premiers engagements consiste à s'exercer d'une façon inconditionnelle à la non-violence, prise au sens le plus large de ne blesser qui que ce soit en acte, en parole et même en pensée. La non-violence est appréhendée comme un exercice sur nos propres capacités, car chacun de nous dispose d'une capacité morale au discernement, il peut refuser la haine et acquiescer à l'amour.
Le magazine en ligne slate.fr vient pourtant de publier un article intitulé "Le bouddhisme incite-t-il aussi à la haine ?". Son auteur s'essaie à démystifier les enseignements du Bouddha en invoquant les récentes violences contre les minorités au Myanmar (ex-Birmanie), plus particulièrement à l'encontre de la communauté musulmane. Si le contenu de l'article est moins provoquant que le titre, le texte n'en demeure pas moins ambigu, l'auteur s'attachant à démontrer que la non-violence du bouddhisme ressortirait plus du fantasme occidental que de la réalité. La non-violence serait au fond conditionnelle. Lecture faite, il paraît difficile de répondre à la question posée par le titre de l'article.
Certes, toute démystification est utile et salutaire. Nul ne contestera qu'il existe toujours des écarts entre théorie et pratique et que les messages les plus nobles, qu'ils soient religieux, politiques ou autres peuvent être constamment dévoyés et pervertis. Le bouddhisme n'échappe évidemment pas à la règle. Dans de nombreux pays du Sud-Est asiatique, l'identité nationale s'est forgée autour des notions de foi, de nation et de peuple. La lutte pour l'émancipation coloniale a tout particulièrement puisé dans une idéologie qui confond le peuple et le bouddhisme. Un fondamentalisme bouddhiste existe qui est particulièrement virulent au Sri Lanka depuis des décennies. Dans ce pays, il a entretenu la guerre contre les Tigres tamouls et ses partisans les plus réactionnaires drainent aujourd'hui dix pour cent environ des voix de l'électorat. Ce fondamentalisme s'exprime aujourd'hui en Birmanie à travers les discours nationalistes et anti-musulmans d'un moine du nom de Wirathu et de son mouvement 969. Si Wirathu se défend de cautionner les violences meurtrières commises contre les musulmans et d'être lui-même non-violent, ses discours incitent clairement à la haine raciale. Dans la plupart de ces pays bouddhistes, les minorités jouissent en théorie d'une égalité de principe garantie par la constitution, mais la réalité est souvent différente, au mieux elles sont tolérées. À plusieurs reprises, dans ces pays, des initiatives bouddhistes ou non, ont été menées pour tenter de repenser le vivre-ensemble et de dépasser ces idéologies dangereuses véhiculées ou relayées par des moines. Au Sri Lanka, le mouvement Sarvodaya, actif depuis quarante ans, propose ainsi une autre culture de la paix et de la non-violence.
La méfiance, le mépris, la haine de l'autre témoigne d'un profond malaise à vivre sa propre identité. Les violences intercommunautaires qui secouent aujourd'hui le Myanmar ne tiennent pas à une possible violence du bouddhisme, mais à une défaillance collective dans laquelle les enseignements du Bouddha ont précisément un rôle à tenir afin d'en désamorcer les maléfices. En décembre dernier, plusieurs enseignants bouddhistes de renommée internationale du Canada, des États-Unis, de France, du Japon, de Grande-Bretagne, du Sri Lanka et de Thaïlande publiaient une tribune commune dans les journaux birmans sous le titre "Une réponse des responsables bouddhistes mondiaux face la montée des violences ethniques contre les musulmans au Myanmar" (Une version anglaise a été publiée dans le Huffington Post). Elle mérite d'être reproduite :
À nos frères et sœurs bouddhistes du Myanmar,
Nous, responsables bouddhistes mondiaux, tenons à exprimer notre bienveillance et notre préoccupation pour les difficultés auxquelles la population du Myanmar est actuellement confrontée. Bien qu'il s'agisse d'un moment de grand changement positif pour le Myanmar, nous sommes préoccupés par la montée des violences ethniques et les attaques ciblées contre les musulmans dans l'État de Rakhine et par la violence à l'encontre des musulmans et d'autres communautés dans l'ensemble du pays. Les Birmans sont un peuple noble, et les bouddhistes birmans portent en eux une longue histoire du respect du dharma [l'enseignement du Bouddha]. Nous tenons à réaffirmer au monde les principes bouddhistes les plus fondamentaux de non-violence, de respect mutuel et de compassion et à vous soutenir dans leur exercice. Ces principes fondamentaux enseignés par le Bouddha sont au cœur de toute pratique bouddhiste : les enseignements bouddhistes sont fondés sur les préceptes de ne pas tuer et de ne blesser quiconque. Ils sont fondés sur la compassion et le soin mutuel. Ils respectent chacun quelle que soit sa classe sociale, sa caste, sa race ou sa croyance. Nous sommes avec vous pour défendre courageusement ces principes bouddhistes, quand d'autres voudraient diaboliser ou nuire aux musulmans ou à d'autres groupes ethniques. Ce n'est que dans le respect mutuel, l'harmonie et la tolérance que le Myanmar peut devenir une grande nation moderne profitable à tous et un formidable exemple pour le monde. Que vous soyez un sayadaw [un vénérable], un jeune moine, une jeune moniale, ou que vous soyez un bouddhiste laïque, s'il vous plaît, parlez, levez-vous, réaffirmez ces vérités bouddhistes, et soutenez chaque personne du Myanmar avec la compassion, la dignité et le respect offerts par le Bouddha.
Soyez assurés de notre soutien dans le dharma.
Car oui, la non-violence est inconditionnelle dans tous ces enseignements.
Un billet également publié sur le Huffington Post.
Le magazine en ligne slate.fr vient pourtant de publier un article intitulé "Le bouddhisme incite-t-il aussi à la haine ?". Son auteur s'essaie à démystifier les enseignements du Bouddha en invoquant les récentes violences contre les minorités au Myanmar (ex-Birmanie), plus particulièrement à l'encontre de la communauté musulmane. Si le contenu de l'article est moins provoquant que le titre, le texte n'en demeure pas moins ambigu, l'auteur s'attachant à démontrer que la non-violence du bouddhisme ressortirait plus du fantasme occidental que de la réalité. La non-violence serait au fond conditionnelle. Lecture faite, il paraît difficile de répondre à la question posée par le titre de l'article.
Certes, toute démystification est utile et salutaire. Nul ne contestera qu'il existe toujours des écarts entre théorie et pratique et que les messages les plus nobles, qu'ils soient religieux, politiques ou autres peuvent être constamment dévoyés et pervertis. Le bouddhisme n'échappe évidemment pas à la règle. Dans de nombreux pays du Sud-Est asiatique, l'identité nationale s'est forgée autour des notions de foi, de nation et de peuple. La lutte pour l'émancipation coloniale a tout particulièrement puisé dans une idéologie qui confond le peuple et le bouddhisme. Un fondamentalisme bouddhiste existe qui est particulièrement virulent au Sri Lanka depuis des décennies. Dans ce pays, il a entretenu la guerre contre les Tigres tamouls et ses partisans les plus réactionnaires drainent aujourd'hui dix pour cent environ des voix de l'électorat. Ce fondamentalisme s'exprime aujourd'hui en Birmanie à travers les discours nationalistes et anti-musulmans d'un moine du nom de Wirathu et de son mouvement 969. Si Wirathu se défend de cautionner les violences meurtrières commises contre les musulmans et d'être lui-même non-violent, ses discours incitent clairement à la haine raciale. Dans la plupart de ces pays bouddhistes, les minorités jouissent en théorie d'une égalité de principe garantie par la constitution, mais la réalité est souvent différente, au mieux elles sont tolérées. À plusieurs reprises, dans ces pays, des initiatives bouddhistes ou non, ont été menées pour tenter de repenser le vivre-ensemble et de dépasser ces idéologies dangereuses véhiculées ou relayées par des moines. Au Sri Lanka, le mouvement Sarvodaya, actif depuis quarante ans, propose ainsi une autre culture de la paix et de la non-violence.
La méfiance, le mépris, la haine de l'autre témoigne d'un profond malaise à vivre sa propre identité. Les violences intercommunautaires qui secouent aujourd'hui le Myanmar ne tiennent pas à une possible violence du bouddhisme, mais à une défaillance collective dans laquelle les enseignements du Bouddha ont précisément un rôle à tenir afin d'en désamorcer les maléfices. En décembre dernier, plusieurs enseignants bouddhistes de renommée internationale du Canada, des États-Unis, de France, du Japon, de Grande-Bretagne, du Sri Lanka et de Thaïlande publiaient une tribune commune dans les journaux birmans sous le titre "Une réponse des responsables bouddhistes mondiaux face la montée des violences ethniques contre les musulmans au Myanmar" (Une version anglaise a été publiée dans le Huffington Post). Elle mérite d'être reproduite :
À nos frères et sœurs bouddhistes du Myanmar,
Nous, responsables bouddhistes mondiaux, tenons à exprimer notre bienveillance et notre préoccupation pour les difficultés auxquelles la population du Myanmar est actuellement confrontée. Bien qu'il s'agisse d'un moment de grand changement positif pour le Myanmar, nous sommes préoccupés par la montée des violences ethniques et les attaques ciblées contre les musulmans dans l'État de Rakhine et par la violence à l'encontre des musulmans et d'autres communautés dans l'ensemble du pays. Les Birmans sont un peuple noble, et les bouddhistes birmans portent en eux une longue histoire du respect du dharma [l'enseignement du Bouddha]. Nous tenons à réaffirmer au monde les principes bouddhistes les plus fondamentaux de non-violence, de respect mutuel et de compassion et à vous soutenir dans leur exercice. Ces principes fondamentaux enseignés par le Bouddha sont au cœur de toute pratique bouddhiste : les enseignements bouddhistes sont fondés sur les préceptes de ne pas tuer et de ne blesser quiconque. Ils sont fondés sur la compassion et le soin mutuel. Ils respectent chacun quelle que soit sa classe sociale, sa caste, sa race ou sa croyance. Nous sommes avec vous pour défendre courageusement ces principes bouddhistes, quand d'autres voudraient diaboliser ou nuire aux musulmans ou à d'autres groupes ethniques. Ce n'est que dans le respect mutuel, l'harmonie et la tolérance que le Myanmar peut devenir une grande nation moderne profitable à tous et un formidable exemple pour le monde. Que vous soyez un sayadaw [un vénérable], un jeune moine, une jeune moniale, ou que vous soyez un bouddhiste laïque, s'il vous plaît, parlez, levez-vous, réaffirmez ces vérités bouddhistes, et soutenez chaque personne du Myanmar avec la compassion, la dignité et le respect offerts par le Bouddha.
Soyez assurés de notre soutien dans le dharma.
Car oui, la non-violence est inconditionnelle dans tous ces enseignements.
Un billet également publié sur le Huffington Post.
Mots-clés : Birmanie, Myanmar, non-violence, pacifisme, Sri Lanka
Imprimer | Articlé publié par Jiun le 03 Juin 13 |