La méditation antistress
Dans l’arsenal des méthodes de gestion du stress, le bouddhisme, ou plutôt la méditation bouddhiste, a désormais sa place. Détachée de tout environnement moral, religieux ou spirituel, la méditation permettrait de résoudre une multitude de troubles physiques et psychologiques. La littérature consacrée aux bienfaits de la méditation ne cesse de grossir relayée par les magazines de psychologie et de bien-être. Mais ces livres et ces articles parlent davantage de notre condition actuelle que de méditation, en révélant en creux les souffrances et les malaises du monde contemporain. Dans leurs formules simplificatrices, les articles de presse le montrent tout particulièrement. Un grand magazine français titrait récemment « Méditer, le meilleur des antistress ». Nous devrions d’abord lire cette littérature pour ce qu’elle dit de nous.
Des études de laboratoire sont souvent citées dont il faut dire un mot. Nos traditions modernes se sont largement construites sur les hypothèses du matérialisme et que la subjectivité serait réductible aux seuls processus physiques ou neuronaux, de sorte que la méditation peut être étudiée hors de toute considération des états mentaux impliqués [1]. Dans leur imprécision, ils sont superflus et même inutiles. D’une manière assez constante, ces études ne prennent donc pas en considération le vécu propre de chaque méditant, on relève simplement des signaux objectifs comme la pression sanguine ou les ondes cérébrales. La subjectivité est non seulement évacuée mais implicitement déniée dans ces expériences. Des informations comme les émotions, les sensations, les perceptions qui ne peuvent être dites que d’un point de vue subjectif ne paraissent pas nécessaires pour comprendre la méditation. Pour les traditions bouddhistes, au contraire, la méditation est une exploration du vécu qui ramène sans cesse à la subjectivité propre de chaque individu. Un corps frissonne de vie. Dans l’expérience du vivre et du sentir, ce corps vivant excède l’épaisseur de sa seule matérialité. Comment mon esprit lui-même pourrait-il se réduire à des réseaux de connexions nerveuses qui s’agitent ? Il y a quelque chose d’autre qui vibre en moi, et ce qui vibre c’est la vie. L’apparente primauté donnée au mental dans les enseignements du Bouddha naît simplement de la singularité d’être conscient de cette condition. Cette faculté y est mise à profit pour questionner la vie vivante.
Ces études partent du présupposé que tous les sujets étudiés méditent. Les maîtres de méditation n’ont pas ce présupposé-là, ils opèrent dans une expérience vivante, ils savent que leurs étudiants ne méditent pas mais qu’ils tentent de méditer – la différence est essentielle. Car une même technique de méditation peut résonner tout à fait différemment selon les personnes : Elle peut être source d’apaisement pour les uns, source d’anxiété ou de difficulté pour les autres, précisément par ce que l’homme n’est pas un matériel ; il est aussi tissé de sensations, de désirs et d’émotions. Toute technique résonnera d’une manière particulière selon l’histoire propre, physique et psychologique, de chacun. L’assiduité, l’ancienneté ne sont même pas des garants d’une méditation « réussie ». Chaque tradition bouddhiste a développé une diversité de stratégies, de méthodes et de contrecarrants pour travailler dans cette matière. Le maître et l’élève agissent dans une interactivité constante, chacun recherchant une compréhension claire de la qualité des états mentaux en jeu. Le maître de méditation n’est pas l’observateur tiers d’une expérimentation dont il analyserait les entrées (l’âge, le sexe, la durée de la méditation) et les sorties (la pression sanguine et les courbes électriques du cerveau) sans se préoccuper du contenu même de l’expérimentation. Il pointe directement le cœur de cette expérience, et se sait lui-même impliqué dans cette tentative de méditer. Pour lui, aucun méditant n’est anonyme ni interchangeable, car aucune expérience méditative ne ressemble à une autre. En évacuant la multiplicité des vécus en jeu, en rabattant le qualitatif sur le quantitatif, le subjectif sur l’objectif, ce genre d’études manque la signification de la méditation. De la méditation bouddhiste, le maître tibétain Chögyam Trungpa en parlait ainsi :
La méditation ne consiste pas à essayer d’atteindre l’extase, la félicité spirituelle ou la tranquillité, ni à tenter de s’améliorer. Elle consiste simplement à créer un espace où il est possible de déployer et défaire nos jeux névrotiques, nos auto-illusions, nos peurs et nos espoirs cachés. Nous produisons cet espace par le simple recours à la discipline consistant à ne rien faire. À vrai dire, il est très difficile de ne rien faire. Il nous faut commencer par ne faire à peu près rien, et notre pratique se développera graduellement. Ainsi la méditation est elle un moyen de brasser les névroses de l’esprit et de les utiliser comme partie intégrante de la pratique. Pas plus que le fumier, nous ne jetons ces névroses au loin ; au contraire, nous les répandons sur notre jardin, et elles deviennent partie de notre richesse [2].
Dans les traditions du dharma, la tranquillité n’est pas la finalité de la méditation mais sa condition. Il s’agit d’un travail éprouvant où l’on ressent toutes les gammes de la déception, de l’amertume et de la dépression jusqu’à les épuiser. Un guide est d’autant plus nécessaire que la transformation est à ce prix.
À force de présenter la méditation comme le meilleur des antistress, le risque est évidemment que ce dharma qui intrigue tant l’Occident soit définitivement absorbé sous la forme d’une nouvelle technique de gestion de soi sans plus être à même de révéler sa dimension héroïque. Dans cette perspective, la pratique du bouddhisme n’aurait d’autre possibilité que de nous donner les moyens soit de supporter les épreuves du temps soit de les fuir. Il ne pourrait ni aborder ni penser les formes d’aliénation individuelle et collective productrices de malaise. Peu importe les ondes cérébrales des athlètes de la méditation, Il nous faut résister à l’air du temps. Car le dharma offre une tout autre conversion de notre agir et de notre devenir. Sommes nous prêts à nous engager dans un tel chemin ?
[1] John R. Searle, La redécouverte de l’esprit, Paris, Gallimard, 1995.
[2] Chögyam Trungpa, Le mythe de la liberté et la voie de la méditation, Paris, Seuil, 1979, p. 16.
Antony and The Johnsons, Fistful of Love (2005).
Des études de laboratoire sont souvent citées dont il faut dire un mot. Nos traditions modernes se sont largement construites sur les hypothèses du matérialisme et que la subjectivité serait réductible aux seuls processus physiques ou neuronaux, de sorte que la méditation peut être étudiée hors de toute considération des états mentaux impliqués [1]. Dans leur imprécision, ils sont superflus et même inutiles. D’une manière assez constante, ces études ne prennent donc pas en considération le vécu propre de chaque méditant, on relève simplement des signaux objectifs comme la pression sanguine ou les ondes cérébrales. La subjectivité est non seulement évacuée mais implicitement déniée dans ces expériences. Des informations comme les émotions, les sensations, les perceptions qui ne peuvent être dites que d’un point de vue subjectif ne paraissent pas nécessaires pour comprendre la méditation. Pour les traditions bouddhistes, au contraire, la méditation est une exploration du vécu qui ramène sans cesse à la subjectivité propre de chaque individu. Un corps frissonne de vie. Dans l’expérience du vivre et du sentir, ce corps vivant excède l’épaisseur de sa seule matérialité. Comment mon esprit lui-même pourrait-il se réduire à des réseaux de connexions nerveuses qui s’agitent ? Il y a quelque chose d’autre qui vibre en moi, et ce qui vibre c’est la vie. L’apparente primauté donnée au mental dans les enseignements du Bouddha naît simplement de la singularité d’être conscient de cette condition. Cette faculté y est mise à profit pour questionner la vie vivante.
Ces études partent du présupposé que tous les sujets étudiés méditent. Les maîtres de méditation n’ont pas ce présupposé-là, ils opèrent dans une expérience vivante, ils savent que leurs étudiants ne méditent pas mais qu’ils tentent de méditer – la différence est essentielle. Car une même technique de méditation peut résonner tout à fait différemment selon les personnes : Elle peut être source d’apaisement pour les uns, source d’anxiété ou de difficulté pour les autres, précisément par ce que l’homme n’est pas un matériel ; il est aussi tissé de sensations, de désirs et d’émotions. Toute technique résonnera d’une manière particulière selon l’histoire propre, physique et psychologique, de chacun. L’assiduité, l’ancienneté ne sont même pas des garants d’une méditation « réussie ». Chaque tradition bouddhiste a développé une diversité de stratégies, de méthodes et de contrecarrants pour travailler dans cette matière. Le maître et l’élève agissent dans une interactivité constante, chacun recherchant une compréhension claire de la qualité des états mentaux en jeu. Le maître de méditation n’est pas l’observateur tiers d’une expérimentation dont il analyserait les entrées (l’âge, le sexe, la durée de la méditation) et les sorties (la pression sanguine et les courbes électriques du cerveau) sans se préoccuper du contenu même de l’expérimentation. Il pointe directement le cœur de cette expérience, et se sait lui-même impliqué dans cette tentative de méditer. Pour lui, aucun méditant n’est anonyme ni interchangeable, car aucune expérience méditative ne ressemble à une autre. En évacuant la multiplicité des vécus en jeu, en rabattant le qualitatif sur le quantitatif, le subjectif sur l’objectif, ce genre d’études manque la signification de la méditation. De la méditation bouddhiste, le maître tibétain Chögyam Trungpa en parlait ainsi :
La méditation ne consiste pas à essayer d’atteindre l’extase, la félicité spirituelle ou la tranquillité, ni à tenter de s’améliorer. Elle consiste simplement à créer un espace où il est possible de déployer et défaire nos jeux névrotiques, nos auto-illusions, nos peurs et nos espoirs cachés. Nous produisons cet espace par le simple recours à la discipline consistant à ne rien faire. À vrai dire, il est très difficile de ne rien faire. Il nous faut commencer par ne faire à peu près rien, et notre pratique se développera graduellement. Ainsi la méditation est elle un moyen de brasser les névroses de l’esprit et de les utiliser comme partie intégrante de la pratique. Pas plus que le fumier, nous ne jetons ces névroses au loin ; au contraire, nous les répandons sur notre jardin, et elles deviennent partie de notre richesse [2].
Dans les traditions du dharma, la tranquillité n’est pas la finalité de la méditation mais sa condition. Il s’agit d’un travail éprouvant où l’on ressent toutes les gammes de la déception, de l’amertume et de la dépression jusqu’à les épuiser. Un guide est d’autant plus nécessaire que la transformation est à ce prix.
À force de présenter la méditation comme le meilleur des antistress, le risque est évidemment que ce dharma qui intrigue tant l’Occident soit définitivement absorbé sous la forme d’une nouvelle technique de gestion de soi sans plus être à même de révéler sa dimension héroïque. Dans cette perspective, la pratique du bouddhisme n’aurait d’autre possibilité que de nous donner les moyens soit de supporter les épreuves du temps soit de les fuir. Il ne pourrait ni aborder ni penser les formes d’aliénation individuelle et collective productrices de malaise. Peu importe les ondes cérébrales des athlètes de la méditation, Il nous faut résister à l’air du temps. Car le dharma offre une tout autre conversion de notre agir et de notre devenir. Sommes nous prêts à nous engager dans un tel chemin ?
[1] John R. Searle, La redécouverte de l’esprit, Paris, Gallimard, 1995.
[2] Chögyam Trungpa, Le mythe de la liberté et la voie de la méditation, Paris, Seuil, 1979, p. 16.
Antony and The Johnsons, Fistful of Love (2005).
Mots-clés : Chögyam Trungpa, grandeur, matérialisme, maître-disciple, méditation, modernisme
Imprimer | Articlé publié par Jiun le 24 Avr. 12 |