L'intention
Le billet de lundi est sans doute quelque peu difficile. Pourtant il soulève une question essentielle :
La pratique du zen nous invite-t-elle à vivre chaque instant dans la pure spontanéité ou propose-t-elle autre chose ? Les arts martiaux, l’art floral, la calligraphie que l’on assimile souvent à des produits dérivés du zen recherchent à l’évidence la seule spontanéité du geste. Dans ces voies, l’intention, la pensée sont toujours de trop. Car penser, c’est manquer la cible. Mais le zen ?
Cette tradition est réellement travaillée par une question cruciale qui se répète de génération en génération : s’exerce-t-on à la volonté ou à l’involonté, à l’intention ou à la non-intention ? Le taoïsme est clairement du côté de l’involontaire, le sage se contente d’épouser le cours des choses, le dao, sans plus penser. Le bouddhisme indien du Grand Véhicule est au contraire du côté de la détermination et de l’intention : Le bodhisattva fait le vœu de réaliser l’éveil pour le bénéfice des êtres, il s’exerce à la patience, à l’effort, etc. Il possède la pensée de l’éveil. Mais le zen ?
On pourrait poser autrement la question : cette voie nous invite-t-elle à nous déposséder de nous-mêmes ou bien au contraire à prendre pleinement possession de nous-mêmes et par-delà du monde ? Est-ce vraiment d’ailleurs l’alternative ?
Je reprends encore Huangbo, le plus taoïste des maîtres zen chinois : "Sachez seulement ceci : restez insensible un seul instant et vous connaîtrez l’insensibilité du corps ; restez un seul instant sans représentations mentales et vous aurez un corps libre de représentations mentales ; ne vous laissez jamais aller à élaborer quoi que ce soit en esprit et vous aurez un corps sans constructions mentales ; et quand vous ne cogiterez pas, ne pronostiquerez point et ne discriminerez guère, votre corps sera libre des consciences discriminantes. Un seul mouvement de la pensée, et vous voilà plongé dans les douze causes interdépendantes, où l’ignorance conditionne les formations mentales dans un rapport de cause à effet, et ainsi de suite jusqu’à la vieillesse et la mort." (Les entretiens de Houang-po, traduction de Patrick Carré, Paris, Les Deux Océans, 1985, p. 119)
A l’évidence, pour Huangbo, la question est tranchée. Et pour vous ?
La pratique du zen nous invite-t-elle à vivre chaque instant dans la pure spontanéité ou propose-t-elle autre chose ? Les arts martiaux, l’art floral, la calligraphie que l’on assimile souvent à des produits dérivés du zen recherchent à l’évidence la seule spontanéité du geste. Dans ces voies, l’intention, la pensée sont toujours de trop. Car penser, c’est manquer la cible. Mais le zen ?
Cette tradition est réellement travaillée par une question cruciale qui se répète de génération en génération : s’exerce-t-on à la volonté ou à l’involonté, à l’intention ou à la non-intention ? Le taoïsme est clairement du côté de l’involontaire, le sage se contente d’épouser le cours des choses, le dao, sans plus penser. Le bouddhisme indien du Grand Véhicule est au contraire du côté de la détermination et de l’intention : Le bodhisattva fait le vœu de réaliser l’éveil pour le bénéfice des êtres, il s’exerce à la patience, à l’effort, etc. Il possède la pensée de l’éveil. Mais le zen ?
On pourrait poser autrement la question : cette voie nous invite-t-elle à nous déposséder de nous-mêmes ou bien au contraire à prendre pleinement possession de nous-mêmes et par-delà du monde ? Est-ce vraiment d’ailleurs l’alternative ?
Je reprends encore Huangbo, le plus taoïste des maîtres zen chinois : "Sachez seulement ceci : restez insensible un seul instant et vous connaîtrez l’insensibilité du corps ; restez un seul instant sans représentations mentales et vous aurez un corps libre de représentations mentales ; ne vous laissez jamais aller à élaborer quoi que ce soit en esprit et vous aurez un corps sans constructions mentales ; et quand vous ne cogiterez pas, ne pronostiquerez point et ne discriminerez guère, votre corps sera libre des consciences discriminantes. Un seul mouvement de la pensée, et vous voilà plongé dans les douze causes interdépendantes, où l’ignorance conditionne les formations mentales dans un rapport de cause à effet, et ainsi de suite jusqu’à la vieillesse et la mort." (Les entretiens de Houang-po, traduction de Patrick Carré, Paris, Les Deux Océans, 1985, p. 119)
A l’évidence, pour Huangbo, la question est tranchée. Et pour vous ?
Imprimer | Articlé publié par Eric le 22 Nov. 06 |
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le 22/11/2006
"On pourrait poser autrement la question : cette voie nous invite-t-elle à nous déposséder de nous-mêmes ou bien au contraire à prendre pleinement possession de nous-mêmes et par-delà du monde ? Est-ce vraiment d’ailleurs l’alternative ?"
Ce qui est problématique ici c’est le « ou bien » car il s’agit de nous déposséder de beaucoup de choses "pour" prendre pleinement possession de nous même.
Cependant, une telle affirmation d’un soir d’insomnie qui sonne comme une idée reçue de plus, mérite d’être approfondie pour voir si elle justifie réellement ces efforts ;-)
le 22/11/2006
Et oui Eric, je pense que c'est ça le paradoxe de l'évolution en méditation.
Peut-être certains pensent, en entrant en méditation, que tous les traits de la personne qu'ils constituent sont sujet à caution, puisque susceptibles d'être assimilés à un soi inauthentique parce que la notion même d'identité est suspecte dans certains courants du bouddhisme. En fait, certain traits de caractère peuvent réellement s'émousser (de fausses idées sur soi-même) mais d'autres au contraire se confirmer, c'est la méditation qui fait le tri. Donc changer, c'est aussi devenir réellement soi-même, y compris avec ses pensées, tout en devenant autre. C'est un paradoxe.
Bernard G
le 22/11/2006
Cette voie nous invite-t-elle à nous déposséder de nous-mêmes ou bien au contraire à prendre pleinement possession de nous-mêmes et par-delà du monde ?...A l’évidence, pour Huangbo, la question est tranchée. Et pour vous ?
Il y a encore un beau ciel bleu ce matin mais par rapport à hier, il fait un froid de canard.
le 22/11/2006
Est ce que le dharma en général, et le zen en particulier, n'est pas une voie paradoxale en soi et c'est dans ce paradoxe que se trouve justement ses effets
Comme l'injonction paradoxale, koan thérapeutique, va créer un tel tiraillement entre les deux possibilités, que soit on en devient fou ;-) , ou soit une idée de génie imprévue ouvre une troisième voie, qui n'était pas envisageable jusque là
Car si je prends la boddhichitta, la pensée d'éveil, le désir d'atteindre l'éveil pour libérer tous les êtres, n'est elle pas paradoxe, elle commence par un voeu, donc un désir, pour ensuite cheminer sur la voie de la cessatation du désir. Le Bodhisattva ne peut se sortir de ce paradoxe, qu'en agissant immédiatement en commençant à aider les êtres à moins souffrir, avec ses moyens, même s'il ne leur permet pas d'atteindre l'éveil immédiatement.
Un autre paradoxe du Tao autre voie paradoxale, est dans les 1ers mots du Tao Te King : "La voie qui peut être exprimée par la parole n'est pas la Voie éternelle" et ensuite pendant près de 100 chapitres Lao Tseu va nous bassiner sur la Voie éternelle ;-)
Je ne sais pas si ma part de vieux moine zen fou réincarné est bien clair dans ce que j'écris, mais je crois que ceux qui pratiquent la méditation sont des fous qui cherchent à ne rien chercher ;-) (bon "fou" je ne parle que pour moi bien tendu )
le 22/11/2006
Bonjour,
après avoir relu trois fois attentivement, je dirais plutôt 'non-intention'; mais je n'irais pas jusqu'à 'nous déposséder de nous-mêmes'. Devenir ce que nous sommes, c'est à dire esprit vide, sans but et (omni)conscient de l'être.
N'y a t'il pas entre 'non-pensée' et 'non-intention' un espace suffisant pour glisser une feuille de papier à cigarette ?
amicalement.
le 22/11/2006
Le "voeu du bodhisattva" déborde sa pratique, c'est presque inhumain de penser pouvoir "aider tous les êtres" et pourtant on ne peut s'échapper nulle part, notre pratique de zazen c'est s'unifier aux contraires et aux multiples contradictions en soi-même et en "dehors de soi".......je ne sais pas ce qu'il va rester de tous ces efforts, peut etre que d'approcher quelques instants le silence profond de la méditation suffit amplement pour tout expliquer !!
Et ensuite on parle parce que c'est trés agréable de communiquer, mais le silence est présent dans le fond du coeur.......et à la fin on a juste besoin de serrer la main de quelqu'un ou de la prendre entre ses bras.
Bernard
le 22/11/2006
Bonjour,
Ce qui m'étonne, c'est que tu sembles dire que dans l'espace du za-zen, débarrassé de nos pensées construites, nous n'y sommes pas. Or, justement, nous sommes présent dans ce vide, entièrement, avec tous nos traits de personnalités, nos désirs, notre mémoire, notre passé et notre futur.d'abord merci Eric de me permettre de participer à ce blog.
Penser n'est pas être, quoi qu'être c'est aussi penser.
Mais j'en reviens à ta réflexion initiale : quelle valeur peut-on donner à la non-intention ? La branche ramassée par terre et jetée dans un seau est-elle plus belle, meilleure, plus accomplie que l'exubérant vase de roses rouges parfaitement écloses et soigneusement disposées ?
Pour ma part, dans l'un comme dans l'autre, je peux sentir le monde, alors les deux se valent.
le 22/11/2006
mais oui, je me tais.
le 23/11/2006
Zazen c'est la "dépossesion", impossible d'imaginer ce qu'est le passé et le futur de nos vies......juste ce temps immobile entre deux autres "temps", nous sommes là et en même temps nous sommes dans ce lieu "frontalier", il n'y a plus rien qu'un corps droit et qu'un souffle qui s'ouvre et se perd .......assis sur un petit coussin je ne sais pas ce qu'est l'éveil et je sais pourtant qu'il n'y a pas d'entre endroit où l'éveil ne se réalise.........assis, etre assis pendant trente minutes dans l'immobilité ne fait pas éclore la fleur de l'éveil, c'est bien au-delà !!!
Etre assis dans la posture "juste" et ne plus rien faire !!! Apres je dois avouer que c'est trés agréable d'affronter la cohue du métro parisien et "se taper" la mauvaise humeur de son boss !!!
le 23/11/2006
la voie est-elle Intention ou non-intention?
peut-être que finalement la réponse est: les deux ou aucune des deux et même ces deux suppositions à la fois ou aucune de ces deux suppositions.
houlà, ça y est tant de questions..je fume de l'encéphale et on est bien avancé!
En fait, si le monde manifesté que nous percevons et la vacuité ne sont que les deux concepts d'une même vérité alors Je ne pense ( je sais si je pense je suis à côté de la plaque) pas qu'il y est contradiction.
cela me fait penser (encore!) à cette image du manifesté qui serait un colorant que l'on diluerait dans la vacuité qui serait l'eau. Où serait la différence fondamentale entre les deux ?
le manifesté se rapprocherait ici de la volonté, l'intention (manifeste) le zen "en action" et le non manifesté de l'inattention, le non-vouloir (non manifesté).
Nous serions potentiellement déjà éveillé par nôtre nature, il n'y aurait pas de but à atteindre mais juste à réaliser que tout est là, rien n'est à accomplir..je suis le colorant et je suis l'eau, je ne suis ni le colorant, ni l'eau...(d'ailleur je=nous)
Alors nous déposséder de nous-même ou au contraire prendre possession?
Question de vue.. juste..
Ce n'est pas ça le zen?: tout et rien dansant la valse dans une parfaite complicité?
ha, quand je verrai!!
ps: c'est raté pour la simplicité mais j'essayerai de faire mieux la prochaine fois
bien à vous tous
Wilfried
le 24/11/2006
@henning-b > Ça c’est un commentaire taoiste ;-)
(Aller, moi aussi je cède à la tentation de montrer que j’en connais un rayon : sans un peu de complaisance, on ne sortirait jamais de chez soi.)
Pour comprendre d’où peut venir l’aspect caricatural de l’affirmation de Houang-po, je tente d’apprécier ce qu’elle peut faire raisonner de ma propre (et modeste) expérience.
Il y a quelques années au cours d’une méditation, j’ai vraiment senti mon esprit se poser comme une baguette en équilibre sur un fil, ou comme la dernière carte d’un château de cartes. Il y avait vraiment cette impression presque physique, palpable, d’une instabilité – ou fragilité – et en même temps la surprise, un choc, de devoir constater qu’en retirant sa main, « ça reste en place, en équilibre, tout seul ». Je ne veux pas parler d’une appréhension, mais plutôt d’un certain plaisir de constater que quelque chose de significatif s’est produit, en douceur : « ça tient… ».
Il y avait donc quelque chose, avec sa solidité propre et son équilibre très léger, sans qu’aucune force extérieure ne soit nécessaire pour maintenir le tout.
Une fois le château de carte achevé, on peut envisager tous les mouvements possibles, sans limites, sans précautions, vu que « ça » tient tout seul. Mais à partir de cet instant, le court des choses apparaît aussi tellement moins inquiétant, et contraignant…
À mon sens, volontarisme et quiétisme ne s’excluent pas mutuellement (oui, c'est un lieu commun, j'admets ;-). Le volontarisme me plaît, car il y a du romantisme à devoir accepter que le volontarisme n’est serein qu’en compagnie d’un certain sens de la vanité.
Ce que je ne cesse de chercher, ce sont des échos à de rares instants, à de maigres expériences. Je ne crois pas en la parole sans tâche, la parole Vraie, qui dit tout et n’omet rien.
Donc oui, Houang-po ne dis pas tout…