L'enjeu du silence
Je continue sur le kyôsaku. Jacques m'écrit hier à ce propos : "C'est une technique très délicate, presque un art. Je ne l'ai reçu qu'une seule fois, et le coup, juste, m'a envoyé une onde dans tout le corps, me recentrant instantanément et avec une force étonnante. Mal utilisé ou compris, c'est une catastrophe. Bien appliqué, c'est une aide efficace."
On ne peut évidemment écarter cet aspect physiologique (c’est au fond pour cela qu’il est donné) mais le bâton reste un objet social. Il opère non seulement sur le corps mais également sur nos perceptions et notre imaginaire.
Comment médite-t-on exactement dans le zen sôtô japonais ? Voici une photographie de la salle de méditation (zendô) du temple de Tôkei’in, le temple-racine de la lignée de Nishijima rôshi. La salle est tout à fait typique et peut accueillir une trentaine de personnes. Traditionnellement, les moines méditent sur des estrades, devant un mur ou une cloison. Grâce à ce système de cloisons, nul ne peut observer les autres méditants. Seul l’abbé, qui s’assoit à droite de l’entrée, fait face au centre. Il est assis là, non pour regarder les postures (de toute façon, il ne peut réellement observer que trois ou quatre personnes sur une trentaine de personnes présentes) mais pour symboliquement créer un effet de miroir avec la statue au centre de la salle : c’est un bouddha face à un bouddha.
Seul le responsable de la méditation (jikidô) passe avec le bâton derrière les méditants, mais c’est loin d’être systématique. Certains temples ne l’utilisent que pendant les retraites (sesshin) où les risques d’endormissement sont plus importants. Les moines japonais vivent cette responsabilité comme un art. Ils apprennent à ne faire aucun bruit de telle façon qu’on ne sache jamais s’ils marchent ou non. Leur pas devient lent à l’extrême. On n’entend même pas le froissement de leurs manches. Comme souvent ces salles sont dans la pénombre, que l’espace est cloisonné, ils deviennent complètement inaudibles et invisibles. De toute façon, ils le doivent. Lorsque le jikidô voit un moine endormi, il frappe l’épaule droite pour le raffermir. J’ai médité à Eiheiji, le grand monastère de l’école sôtô, et j’étais incapable de savoir si le jikidô passait derrière moi ou non. Seul, un coup, de temps à autre, rappelait vaguement sa présence, mais le bruit, unique, se dissolvait immédiatement dans le silence. L’enjeu, pour tout ces moines, est de préserver le silence, de l’approfondir instant après instant.
Le kyôsaku a sa valeur mais l’art du silence est subtil. On ne dispose pas nécessairement au Japon ou ailleurs de ce genre de salles ni de moines invisibles. Gudô Nishijima qui enseigne la méditation un peu partout au Japon, essentiellement dans des cadres non-monastiques, avec des laïques et dans des salles diverses, a abandonné le kyôsaku. Il dérange la méditation, dit-il. Effectivement, donner le kyôsaku nécessite des espaces particuliers, physique, mental, social. Il peut aussi être perçu, vécu comme un instrument de pouvoir ou un objet coercitif. Il peut perturber le silence plus que le renforcer. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à l’abandonner. Moi-même, je ne l'utilise pas.
On ne peut évidemment écarter cet aspect physiologique (c’est au fond pour cela qu’il est donné) mais le bâton reste un objet social. Il opère non seulement sur le corps mais également sur nos perceptions et notre imaginaire.
Comment médite-t-on exactement dans le zen sôtô japonais ? Voici une photographie de la salle de méditation (zendô) du temple de Tôkei’in, le temple-racine de la lignée de Nishijima rôshi. La salle est tout à fait typique et peut accueillir une trentaine de personnes. Traditionnellement, les moines méditent sur des estrades, devant un mur ou une cloison. Grâce à ce système de cloisons, nul ne peut observer les autres méditants. Seul l’abbé, qui s’assoit à droite de l’entrée, fait face au centre. Il est assis là, non pour regarder les postures (de toute façon, il ne peut réellement observer que trois ou quatre personnes sur une trentaine de personnes présentes) mais pour symboliquement créer un effet de miroir avec la statue au centre de la salle : c’est un bouddha face à un bouddha.
Seul le responsable de la méditation (jikidô) passe avec le bâton derrière les méditants, mais c’est loin d’être systématique. Certains temples ne l’utilisent que pendant les retraites (sesshin) où les risques d’endormissement sont plus importants. Les moines japonais vivent cette responsabilité comme un art. Ils apprennent à ne faire aucun bruit de telle façon qu’on ne sache jamais s’ils marchent ou non. Leur pas devient lent à l’extrême. On n’entend même pas le froissement de leurs manches. Comme souvent ces salles sont dans la pénombre, que l’espace est cloisonné, ils deviennent complètement inaudibles et invisibles. De toute façon, ils le doivent. Lorsque le jikidô voit un moine endormi, il frappe l’épaule droite pour le raffermir. J’ai médité à Eiheiji, le grand monastère de l’école sôtô, et j’étais incapable de savoir si le jikidô passait derrière moi ou non. Seul, un coup, de temps à autre, rappelait vaguement sa présence, mais le bruit, unique, se dissolvait immédiatement dans le silence. L’enjeu, pour tout ces moines, est de préserver le silence, de l’approfondir instant après instant.
Le kyôsaku a sa valeur mais l’art du silence est subtil. On ne dispose pas nécessairement au Japon ou ailleurs de ce genre de salles ni de moines invisibles. Gudô Nishijima qui enseigne la méditation un peu partout au Japon, essentiellement dans des cadres non-monastiques, avec des laïques et dans des salles diverses, a abandonné le kyôsaku. Il dérange la méditation, dit-il. Effectivement, donner le kyôsaku nécessite des espaces particuliers, physique, mental, social. Il peut aussi être perçu, vécu comme un instrument de pouvoir ou un objet coercitif. Il peut perturber le silence plus que le renforcer. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à l’abandonner. Moi-même, je ne l'utilise pas.
Mots-clés : Gudô Nishijima, kyôsaku, méditation, Nishiari, Tôkei'in
Imprimer | Articlé publié par Eric le 15 Nov. 06 |
le 17/11/2006
Ton billet me fait penser au "noble silence" en sesshin. On m'avait expliqué que ce n'est pas se murer en soi-même. C'est essayer d'instaurer un autre mode de communication avec les autres. Cela m'a profondément touché, je m'en souviens encore...
--
Philippe
le 30/05/2008
La apuesta del silencio
Continuo con el kyôsaku. Jacques me escribió ayer a propósito del mismo : “Es una técnica muy delicada, casi un arte, no lo he recibido mas que una única vez y el golpe, exacto, me envió una onda por todo el cuerpo, volviéndome a centrar instantáneamente y con una fuerza sorprendente. Mal comprendido o utilizado es una catástrofe. Bien utilizado es una ayuda eficaz.”
No se puede evidentemente descartar este aspecto fisiológico (es por ello, en el fondo, que se dá), pero el bastón permanece como un objeto social. Opera no solamente sobre nuestro cuerpo sino igualmente sobre nuestras percepciones y nuestro imaginario.
¿Cómo meditan exactamente en el sôtô zen japones? [En el post del que cuelga esta traducción se vé] la sala de meditación (zendô) del templo Tôkei'in, el templo raiz de la linea de Nishijima rôshi. La sala es completamente típica y puede acoger unas treinta personas. Tradicionalmente los monjes meditan sobre plataformas, delante de un muro o de un parabán. Gracias a este sitema de parabanes nadie puede observar a los otros meditadores. Tan solo el abad, que se sienta a la derecha de la entrada, de cara al centro. Está sentado allí no para observar las posturas ( de todas formas no puede realmente observar mas que a tres o cuatro personas de unas treinta presentes) sino para crear simbólicamente un efecto de espejo con la estatua en el centro de la sala, es un buda frente a un buda.
Ta solo el responsable de la meditación (jikidô) pasa con el bastón detras de los meditadores, pero esto está lejos de ser sistemático. Algunos templos no lo utilizan mas que durante los retiros (sesshin), en los que los riesgos de adormecerse son mayores. Los monjes japoneses sienten esta responsabilidad como un arte. Aprenden a no hacer ningún ruido, de tal forma que no se sabe nunca si andan o no. Su paso se convierte en extremadamente lento. Incluso no se oye el roce de sus mangas. Como a menudo estas salas están en penumbra, pues el lugar está cerrado, se vuelven completamente inaudibles e invisibles. Ellos deben serlo de todas formas. Cuando el jikidô ve a un monje adormecido, golpéa la espalda derecha para fortificarlo. He meditado en Eihieiji, el gran monasterio de la escuela sôtô, y era incapaz de saber si el jikidô pasaba detras de mi o no. Solo un golpe, de tiempo en tiempo, recordaba vagamente su presencia, pero el ruido, único, se disolvía inmediatamente en el silencio. La apuesta, para estos monjes, es la de preservar el silencio, profundizarlo de instante en instante.
El kyôsaku tiene su valor, pero el arte del silencio es sutil. No se dipone siempre, en Japón o en otros lugares, de este genero de salas ni de monjes invisibles. Gudo Nishijima, que enseña meditacion un poco por todas partes en Japón, esencialmente en marcos no monasticos, con laicos y en salas distintas, ha abandonado el kyôsaku. Perturba la meditación, dice. Efectivamente, dar el kyôsaku necesita espacios particulares, física, mental y socialmente. Puede ser tambien percibido, vivido como un instrumento de poder o un objeto coercitivo. Puede perturbar el silencio más que reforzarlo. En ese caso no hay que dudar en abandonarlo. Yo mismo no lo utilizo.