J'écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu'un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison

écrivait Guillaume Apollinaire

L’horizon, dans son ouverture, était le signe de notre humanité, il nous offrait le premier pas, le premier geste, le premier chant, le premier espoir. À force de croire qu’il suffisait de franchir des espaces pour atteindre l’horizon, nos rêves aujourd’hui se sont tus et l’horizon nous manque. Nous ne voyons plus qu’un ciel hostile. Dans le tohu-bohu ambiant ne restent que des bruits dont on voudrait croire qu’ils pourraient nous offrir des espoirs. Mais non. Dernier bruit en date : La proposition de Jean-François Coppé d’instaurer «un serment d’allégeance aux armes» pour les jeunes qui atteignent la majorité et ceux qui acquièrent la nationalité française. Ces hommes et ces femmes devraient s’affirmer prêts à soutenir la France par les armes s’il le fallait.

Dans les sociétés modernes, les politiques devraient être les vecteurs et les promoteurs de valeurs et de projets collectifs. Aujourd’hui de quels projets et de quelles valeurs collectives sont-ils les ambassadeurs ? Il y a bien longtemps que la plupart d’entre eux ont renoncé à parler de projets et les belles valeurs qu’ils évoquent ne sont plus que les cache-misère de l’allégeance généralisée au néolibéralisme. Le néolibéralisme, comme doctrine économique, ne brigue ni au rang de projet ni au rang de valeur. Le néolibéralisme, dans sa dimension totalitaire, veut plus que cela : une science exacte qui explique les vertus du marché. Le néolibéralisme a réussi à capturer le champ politique en s’arrogeant le statut de science. Pourtant, ce n’est qu’est une idéologie parmi d’autres fondées sur des conceptions de l’homme quelque peu discutables, entre autres que nos moteurs seraient purement individualistes et égoïstes et que les hommes seraient naturellement portés à s’affronter. De cette idéologie naît une vision des institutions politiques, elles ne devraient avoir qu’un rôle de régulation des forces en présence, guère plus.

L’État n’offre pas que des politiques, il porte aussi des symboles. Les symboles impriment dans nos mémoires ce qui est juste ou non. Lors du voyage de Nicolas Sarkozy en Inde, voici deux ou trois ans, j’avais été frappé par un article puissant publié dans Libération par une Indienne (était-elle écrivaine, je ne sais plus). La seule visite médiatisée que Nicolas Sarkozy fit lors de son voyage, fut celle d’une usine. Dans ce genre de circonstances, écrivait-elle, les visites présidentielles n’ont que des portées symboliques. En ne visitant qu’une usine, il signifiait le primat de l’économie. S’il avait en complément, ou mieux à la place, visité une école ou un hôpital, il aurait signifié un autre regard sur l’Inde, qu’elle n’est pas simplement un marché, et que d’autres valeurs peuvent être promues. Une telle action symbolique aurait été remarquée et même si elle n’avait pas été remarquée, elle aurait participé d’un changement de perspective.

Les actions symboliques sont aussi importantes que les politiques. Elles les précédent, les accompagnent, et les légitiment. Aujourd’hui, la France paraît loin de s’enfoncer dans un conflit armé. Dans un monde complexe et multiculturel, le patriotisme est un sentiment un peu obscur, sans doute encore plus pour les nouvelles générations. La proposition d’un «serment d’allégeance aux armes» prolonge, soutient et promeut métaphoriquement une vision et une culture. Il n’y a rien de nouveau, nous sommes déjà martelés par les slogans : Nous devons nous battre pour l’emploi, les entreprises ont besoin de compétitivité, etc. Sans doute faut-il nous préparer pour demain : l’eau sera un enjeu planétaire, source évidente de conflits, les réfugiés climatiques, politiques de toutes espèces viendront buter à nos portes. Tout cela est congruent. Mais vouloir fixer au cœur de nos symboles institutionnels un «serment d’allégeance aux armes» montre l’aveuglement de nos élus qui ne souhaitent pas sortir du cadre qu’ils ont construit.

Devons-nous fourbir nos armes, fussent-elles métaphoriques, ou les déposer pour inventer autre chose ? Plutôt que la compétition et l’affrontement, pouvons-nous imaginer autre chose, par exemple la collaboration ou la coopération. Le néolibéralisme ne connaît pas la coopération sinon comme un agrégation raisonnée d’égoïstes. Pour des néolibéraux, une coopération qui viserait au niveau collectif à œuvrer à une autre société qui ne s’appuierait pas sur la marchandisation du monde est une authentique chimère, aussi étrange et impossible qu’un lapin à cornes ou des tortues à poils. Cela ne se peut. Quant à faire allégeance à l’amour, cela relèverait sans doute du sentimentalisme déplacé. Ils ont bien autre chose à faire, le marché leur rappelle tous les jours.

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