Matteo Pistono, In the Shadow of the Buddha : Secret Journeys, Sacred Histories and Spiritual Discoveries in Tibet, Dutton, New York, 2011, 274 pages.




Matteo (en réalité Matthew) Pistono est un jeune Américain, disciple du maître tibétain Sogyal Rinpoché. Durant les années 1999-2008, Pistono voyagea à plusieurs reprises au Tibet sur les traces de la précédente incarnation de Sogyal Rinpoché tout en se faisant le porte-parole des persécutions religieuses et des atteintes aux droits de l’Homme au Tibet. Il signe ici son premier ouvrage, compte-rendu de ses voyages dans l’Himalaya. Il dirige actuellement la fondation Nekorpa, une association pour la préservation des lieux sacrés. Il appartient aux comités exécutifs du Réseau International des Bouddhistes Engagés et de l’association Rigpa (l’organisation internationale de Sogyal Rinpoché).

Le titre de l’ouvrage est quelque peu hermétique même après sa lecture. Livre double, In the Shadow of the Buddha se compose d’une biographie d’un maître tibétain peu ou pas connu en Occident, Tertön Sogyal (1856-1926), qui eut une certaine influence sur le XIIIe Dalai-Lama (1876-1933), et le récit des voyages de Matteo Pistono sur les traces de ce maître où il découvre la réalité des persécutions dont sont victimes ses interlocuteurs. Les chapitres alternent systématiquement, et avec un certain bonheur, des épisodes de la vie de Tertön Sogyal et les expériences de l’auteur. La vie politique du Tibet à la fin du XIXe siècle et celle du début du XXIe siècle se télescopent sans cesse.

Le livre est divisé en quatre grandes parties. Elles correspondent aux quatre sites que visite successivement l’auteur au fil des années où vécut Tertön Sogyal.

La première partie couvre trois chapitres. Matteo Pistono retrace ses intérêts pour les questions sociale et politique, sa découverte du bouddhisme tibétain et comment il entreprit de voyager sur les traces de Tertön Sogyal. En 1996, il devient l’étudiant de Sogyal Rinpoché, un maître tibétain fort connu en Occident, auteur du Livre tibétain de la vie et de la mort. Il découvre par son maître la vie de Tertön Sogyal qui n’était autre que sa précédente incarnation. Tertön Sogyal était un yogi marié de l’école Nyingma et un tertön, « un découvreur de trésors cachés ». Dans les traditions tibétaines, et plus particulièrement dans l’école Nyingma, des enseignements ou des rituels cachés en quelques lieux mystérieux sont retrouvés après des siècles par des yogis grâce à leurs pouvoirs mystiques. Tertön Sogyal découvrit de très nombreux textes qui auraient été cachés par le grand maître Padmasambhava (VIIIe siècle) pour les temps difficiles. Tertön Sogyal fut appelé à la cour du Dalai-Lama pour les  enseigner et accomplir des rituels de protection alors que le Tibet vivait une période troublée. Prolifique découvreur de trésors, les enseignements « révélés » par le tertön ont été publiés en dix-sept volumes.

Attiré par la figure et l’histoire de ce maître, Sogyal Rinpoché suggère à Matteo Pistono d’aller visiter à Larung, dans l’est du Tibet, Jigmé Phuntsok (1933-2004), la seconde émanation de Tertön Sogyal. Il s’y rend en 1999. Le yogi s’était établi dans cette vallée en 1980. Très populaire, la vallée compta jusqu’à dix mille résidents vers l’an 2000, venus suivre ses enseignements. Fin 2000, Pistono peut enfin rendre au monastère de Kalzang où il obtient une copie de la biographie de Tertön Sogyal. Mais ce qui devait être un pèlerinage sur les traces du yogi se transforme. L’auteur découvre également la réalité crue des persécutions et le harcèlement des moines et des moniales.

La seconde partie couvre quatre chapitres et s’attache à la première partie de la vie de Tertön Sogyal. La biographie est enlevée, puisque le futur yogi a pour père un bandit de grand chemin qui tente, sans grand succès, de le former au crime. Mais peu enclin à ce destin, l’adolescent se convertit à la voie du Bouddha après une longue maladie. Il va vite se révéler comme un tertön. L’auteur revient au Tibet en 2003, prend des photographies, recueille des témoignages, il a presque une aventure avec une policière moitié tibétaine, moitié chinoise, dont il ne sait si elle est une espionne ou si elle est réellement déchirée par sa double identité.

La troisième partie couvre trois chapitres. La réputation de Tertön Sogyal atteint la cour. Sur les recommandations de l’oracle personnel du Dalai-Lama, le tertön est invité à plusieurs reprises à  Lhassa. Là, il se lie d’amitié avec le XIIIe Dalai-Lama, de vingt ans plus jeune que lui. On lui demande d’accomplir différents rituels pour la protection du Tibet et du Dalai-Lama. Sa magie lui permet même de déjouer une tentative d’assassinat sur le chef spirituel. Finalement il révèle en 1898, l’enseignement d’un trésor caché, Le Rasoir de l’essence la plus profonde, une pratique d’une divinité courroucée, Vajrakîlaya (« la Dague adamantine »), pour ces temps troublés. Le rituel du Rasoir fut ensuite  utilisé comme un rituel de protection du Tibet. L’auteur continue, lui, son périple, ramène des textes de propagande chinoise au risque d’être capturé et emprisonné.

La quatrième partie, plus courte que les précédentes, couvre deux chapitres et est consacrée à la dernère partie de la vie du tertön, qui ne reverra plus le Dalai-Lama. En 1904, celui-ci s’était enfui en Mongolie lorsque les Britanniques marchèrent sur   Lhassa. Il reviendra brièvement à  Lhassa en 1909 pour repartir en Inde en 1910.

L’auteur n’ambitionne ni d’écrire une biographie raisonnée du tertön ni de faire un compte-rendu précis des exactions commises par les autorités chinoises au Tibet. Il s’agit avant tout d’un témoignage personnel, le voyage de l’auteur à la découverte d’un mystique tibétain dans la réalité crue du Tibet actuel. La biographie du tertön suit la biographie traditionnelle telle qu’elle fut écrite au Tibet, mêlant l’histoire au surnaturel. L’ouvrage se veut grand public malgré le sujet, la vie d’un yogi tibétain du XIXe siècle. Grâce à l’alternance systématique et équilibrée des éléments biographiques et des récits de ses propres périples, Matteo Pistono réussit assez bien son pari. L’écriture est simple, agréable à lire. Le récit est écrit à la première personne et parfois agrémentés des souvenirs très personnels.

À dessein, les références trop universitaires voire les explications fouillées sur le bouddhisme tibétain sont écartées. On peut se demander si ce silence intentionnel sert ou dessert son propos ? À aucun moment, par exemple, il n’est mentionné à quelle école bouddhiste appartient le fameux tertön, il est simplement précisé qu’il est un adepte de la Grande Perfection définie dans le glossaire comme « le plus direct et le plus ancien courant de sagesse de la tradition bouddhiste tibétaine. » Symptomatiquement, le terme de Nyingma n’apparaît pas dans l’index. L’hostilité que rencontre le tertön à Lhassa s’explique également par les rivalités sectaires, le XIIIe Dalai-Lama était un hiérarque de l’école Gelug qui s’est longtemps opposée à l’école Nyingma. Ces rivalités sont brièvement évoquées en cinq lignes. On peur regretter que le contenu même des trésors révélés et notamment celui du fameux Rasoir ne soit pas mentionné. Les explications concernant ces trésors sont succinctes. Les lecteurs habituels des ouvrages consacrés au bouddhisme tibétain en quête d’enseignements, notamment sur cette abondante et mystérieuse littérature des trésors enfouis, seront donc quelques peu déçus. Adepte du bouddhisme tibétain, l’auteur prend les faits et gestes du yogi, tous plus prodigieux les uns que les autres comme des faits. Les amateurs d’un Tibet surnaturel seront comblés, les sceptiques moins.

La voie du Milieu choisie par l’auteur, entre biographie spirituelle (haute en couleur) et récit de voyage, est à la fois un atout et une faiblesse. Atout, puisqu’il rend son propos accessible et vivant ; faiblesse, puisqu’au final, le lecteur risque de rester sur sa faim tant sur la question politique au Tibet que sur les pratiques spécifiques des yogis, exception faite sur le corps d’arc-en-ciel qui fait l’objet d’un long développement (après leur mort, le corps de certains yogis se rétracte et disparaît ne laissant plus que les cheveux et les ongles).

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