Je reviens du temple zen de la Gendronnière à l’invitation du Centre Européen du Bouddhisme Sôtô Zen, la division de l’école zen japonaise pour l’Europe, qui organisait ce week-end un séminaire destiné aux prêtres européens de l’école. J’écrirai rapidement un texte de réflexion sur ce séminaire. Frédéric Baylot, qui était présent, vient de m’envoyer quelques notes et appréciations personnelles que je me permets de mettre en ligne et qui permettront de contextualiser mes propres réflexions. Si certaines personnes présentes souhaitent m'envoyer leurs impressions, qu'elles n'hésitent pas.




De gauche à droite : Pierre Dôkan Crépon, votre serviteur, Jisô Forzani (debout), Fausto Taiten Guareschi, Fujita isshô
.


Notes personnelles sur le séminaire annuel du Centre Européen du Bouddhisme Sôtô Zen (Frédéric Baylot)

Remarques préliminaires : Ce qui suit est la simple remise en forme de mes impressions nécessairement subjectives. Certaines interventions ont été tellement riches qu’il m’a été difficile de tout noter voire de tout me rappeler après coup.

Appréciations personnelles (dans l’ordre des interventions)

Jisô Forzani, directeur de l’école Sôtô pour l’Europe. Titre du séminaire : « Où sommes nous en train d’aller, pour quoi faire, quelle direction pour le zen ? » Jisô Forzani a posé la question de l’éventuelle superficialité de la transmission du dharma en Occident à l’heure actuelle. Je ne suis pas sûr que beaucoup aient entendu cette question et encore moins aient apporté quelques éléments de réponse lors de ce séminaire.

Pierre Dôkan Crépon, temple de Kôkaiji (Vannes). Titre de l’intervention : « Maître Deshimaru et le zen universel ». Pierre Dôkan Crépon expliqua que Taisen Deshimaru a proposé peu de formes ritualisées car il n’avait pas été formé à cela. Les enseignants de la génération Deshimaru n’éprouvent-ils pas aujourd’hui le paradoxe que celui-ci vivait : une grande créativité et une indépendance pour trouver d’autres formes adaptées au monde occidental mais également un besoin de reconnaissance des instances traditionnelles japonaises ? Pour Pierre Dôkan Crépon, les enseignants européens doivent encore témoigner de beaucoup d’humilité pour accueillir les enseignements japonais sur les rites. Ne pas changer et prendre son temps pour cela (sic).

Fausto Taiten Guareschi, temple de Fudenji (Italie). Titre de l’intervention : « Rite, événement et sacrifice dans l’expérience de la foi ». Pierre Dôkan Crépon a terminé sa présentation en disant que ce qu’il exposait clairement, Fausto Taiten Guareschi allait l’exposer d’une manière obscure. Ne connaissant ni l’un ni l’autre, je ne remarquais que la boutade. Après l’exposé, je ne pouvais que lui donner raison. Dans un discours teinté d’anthropologie et dont nombre de termes étaient empruntés à la théologie catholique, Fausto Taiten Guareschi disait la même chose : le rite est important, ne le changeons pas.

Éric Jiun Rommeluère,
Un Zen Occidental. Titre de l’intervention : « Ne le laisse pas s’interrompre ». En ne posant qu’une question : « Les centres bouddhistes sont-ils la forme le plus appropriée pour transmettre le dharma ? », Éric Jiun Rommeluère a cherché à interpeller les enseignants présents sur la manière actuelle de transmettre le dharma, car celle-ci peut-être entachée par des rapports commerciaux et mondains. Il n’a pas apporté de réponse, mais faisant preuve d’une grande sensibilité en interrogeant lui-même sa propre pratique, il a posé la question d’un « pour quoi faire » peut être trop souvent oubliée.

Fujita Isshô, directeur du Sôtô Zen Buddhism International Center. Titre de l’intervention : « Recommencer au début : réinterprétation de la pratique zen ». À l’évidence, la conférence de Fujita Isshô supposait de connaître les codes de communication japonais. Je ne connais pas ces codes, je ne peux donc formuler que des hypothèses. Au début de son intervention, il a notamment parlé des difficultés d’être créatif au sein de l’école zen japonaise. Il encouragea à traquer les possibles erreurs dans l’enseignement du dharma, quitte à tout reprendre si on s’aperçoit qu’il en existe. Jamais pourtant il ne signifia que le zen actuel se trouvait dans l’erreur ni qu’il fallait tout reprendre et s’il conseilla de trouver de nouvelles façons d’enseigner, il n’en donna pas. Il demanda simplement aux enseignants de rester dans la posture de l’étudiant plutôt que dans celle du maître. Fujita a longtemps vécu aux États-Unis, et sa présentation fut très agréable, vivante et humoristique.

Carl Bielefeldt, Stanford University. Titre de l’intervention : « Le XXIe siècle de Dôgen, vers un bouddhisme participatif ». Carl Bielefeldt a présenté les caractéristiques du bouddhisme américain, mais que l’on peut certainement étendre au bouddhisme occidental contemporain : la sécularisation, l’individualisme, l’éclectisme, l’égalitarisme et l’activisme. La pratique du bouddhisme est une participation à la vie du monde lui-même et non une fuite du monde. Le bodhisattva accepte avec patience le monde tel qu’il est et s’efforce de l’améliorer. On peut chercher à rénover la tradition, mais il convient de ne pas perdre la possibilité d’être soi-même rénové par cette tradition en voulant trop la mettre à son goût personnel. Si certaines perspectives de Dôgen
peuvent aujourd’hui paraître datées, d’autres traversent le temps : ainsi, il n’y a pas de Bouddha à chercher ailleurs qu’en le laissant exister dans sa vie propre. À la différence de Dôgen qui faisait de la vie monastique la seule voie de l’éveil, Carl Bielefeldt introduit la complexité de notre monde contemporain, en donnant l’image du « moine laïque » qui appartient à plusieurs communautés (de la famille à la société) et qui doit gérer les contradictions de ces différentes communautés sans s’empêcher d’agir, en étant pleinement actif et conscient, ces actions pouvant tantôt prendre la forme de l’obéissance tantôt (voire souvent) celle de la résistance au sein de ces diverses communautés.

Conclusions personnelles : J’ai eu du mal à trouver une cohérence dans l’ordre des présentations et puis, avec un peu de recul, il m’est apparu qu’après avoir formulé la question initiale, ce séminaire était organisé en deux parties qui semblaient s’articuler autour de l’intervention centrale (puisque au centre des cinq interventions) d’Éric Rommeluère qui posait clairement la question : Les centres bouddhistes tels qu’ils existent actuellement peuvent-ils être l’expression d’une transmission authentique du dharma ? Elle était précédée de deux interventions conservatrices recommandant fortement d’éviter toute précipitation dans un éventuel changement. Elle était suivie de deux autres interventions qui évoquaient les changements possibles. La première, sûrement à la manière japonaise, le disait sans le dire. Si au début de son intervention, Fujita Isshô prônait sans ambiguïté qu’il faut avoir l’humilité de tout recommencer si on se rend compte de ses propres erreurs, mais sans prendre position sur la situation actuelle (en cela, il se distinguait d’Éric Rommeluère qui affirmait une impasse), la fin de son exposé se diluait dans une critique pédagogique de la présentation traditionnelle du zazen. Dans la seconde intervention, Carl Bielefeldt, sous couvert d’une critique du bouddhisme à l’américaine, apportait des clés pour une réflexion plus globale qui intègre la complexité du monde dans la pratique du bodhisattva avec l’évocation d’un nouveau statut de « moine / laïque » qui agirait avec conscience dans son milieu là où il est, avec une vision élargie.

Frédéric Baylot

Mots-clés : , ,

Partager