En un lieu pur et nu
Un poème fameux du zen chinois (Sandôkai) commence par ce quatrain :
L’esprit du grand sage de l’Inde
S’est secrètement transmis d'Occident en Orient.
Les facultés humaines sont vives ou faibles,
Mais dans la voie, il n’y a pas de patriarche du sud ou du nord.
Aujourd’hui, le zen se transmet d’Orient en Occident. Notre communauté s’appelle Un Zen Occidental, pensant que le zen peut se développer ici en Europe au XXIe siècle avec des modes d’apprentissage quelque peu différents de l’Orient. Mais parfois l’intitulé prête à confusion et devient source de mécompréhension. On croit (à tort ou à raison…) que le zen à l’Orientale serait religieux, ritualisé, inconfortable, difficile et donc qu’Un Zen Occidental devrait être à l’opposé areligieux, déritualisé, confortable et facile.
Certes, pour ceux qui se joignent à nous, l’environnement paraît assez différent des temples bouddhistes orientaux, nous n’avons que peu de rituels, peu de mots en japonais, etc. Mon propos n’est pourtant pas de modifier l’enseignement, de l’adapter, voire même de faire des concessions à notre culture de consommation. Je cherche simplement les expressions à même de dévoiler pleinement toute la beauté irradiante de cette voie dans notre contexte moderne et européen. Comment ici, des hommes et des femmes peuvent-ils la voir, y entrer, en témoigner ?
En Orient comme en Occident, le zen ne cherche pas à se conformer aux désirs ou aux tempéraments des êtres. Les désirs sont toujours multiples. Certains voudront un zen dépouillé, d’autres le voudront exubérant. Et s’il se conformait aux désirs des êtres, il dévierait de sa voie qui avance droit et qui laisse derrière elle toutes les oppositions.
J’ai reçu les préceptes bouddhistes de Taisen Deshimaru et la transmission zen de Gudô Nishijima mais, quand je réfléchis profondément, je reconnais Ryôtan Tokuda, l’humble moine qui aujourd’hui a obscurci ses traces, comme mon véritable père. Pourquoi ? Simplement, parce que je ne vois aucune différence entre lui et moi. Je me vois et je le vois, je le vois et je me vois. Telle est la relation singulière du maître et du disciple. Chaque jour, chaque instant, une gratitude infinie s’élève dans mon esprit. Des années durant, nous nous sommes rencontrés, non pas pour voir quelqu’un d’autre, lui, un Français, moi, un Japonais, non pas pour parler du zen ni même pour pratiquer ensemble ou nous élever spirituellement. Cette rencontre était au-delà de toutes ces aspirations. Nous nous sommes simplement rencontrés en un lieu pur et nu, silencieux et sacré. Un lieu qui n’aura jamais de nom.
Ryôtan transmettait la voie. Mais transmettre ne signifie pas transmettre une histoire, des paroles ni même une expérience. La voie est transmise lorsque nous nous rencontrons en ce lieu qui n’a pas de nom. Dans le zen, nous disons que le Bouddha Shâkyamuni a transmis à Mahâkashyâpa et que Mahâkashyâpa a simultanément transmis au Bouddha Shâkyamuni. Si le Bouddha avait eu quelque chose à transmettre, Mahâkashyâpa n’aurait jamais pu transmettre au Bouddha Shâkyamuni.
Ryôtan pratiquait un zen à l’Orientale, il avait été élevé dans la culture japonaise et formé dans les temples, je pratique un zen à l’Occidentale. Nos paroles, nos styles sont différents. Chacun parle évidemment avec son histoire, sa culture, sa langue, son caractère qui lui est propre. Mais ce que les paroles pointent ne doit jamais dépendre d’une histoire personnelle ou collective, d’une langue ou d’une culture. Elles ne doivent même pas dépendre de sa propre expérience. Lorsqu’on parle de sa propre expérience, on ne parle au fond que de soi, non de ce lieu qui n’a pas de nom où l’on se défait de soi.
Les mains jointes.
L’esprit du grand sage de l’Inde
S’est secrètement transmis d'Occident en Orient.
Les facultés humaines sont vives ou faibles,
Mais dans la voie, il n’y a pas de patriarche du sud ou du nord.
Aujourd’hui, le zen se transmet d’Orient en Occident. Notre communauté s’appelle Un Zen Occidental, pensant que le zen peut se développer ici en Europe au XXIe siècle avec des modes d’apprentissage quelque peu différents de l’Orient. Mais parfois l’intitulé prête à confusion et devient source de mécompréhension. On croit (à tort ou à raison…) que le zen à l’Orientale serait religieux, ritualisé, inconfortable, difficile et donc qu’Un Zen Occidental devrait être à l’opposé areligieux, déritualisé, confortable et facile.
Certes, pour ceux qui se joignent à nous, l’environnement paraît assez différent des temples bouddhistes orientaux, nous n’avons que peu de rituels, peu de mots en japonais, etc. Mon propos n’est pourtant pas de modifier l’enseignement, de l’adapter, voire même de faire des concessions à notre culture de consommation. Je cherche simplement les expressions à même de dévoiler pleinement toute la beauté irradiante de cette voie dans notre contexte moderne et européen. Comment ici, des hommes et des femmes peuvent-ils la voir, y entrer, en témoigner ?
En Orient comme en Occident, le zen ne cherche pas à se conformer aux désirs ou aux tempéraments des êtres. Les désirs sont toujours multiples. Certains voudront un zen dépouillé, d’autres le voudront exubérant. Et s’il se conformait aux désirs des êtres, il dévierait de sa voie qui avance droit et qui laisse derrière elle toutes les oppositions.
J’ai reçu les préceptes bouddhistes de Taisen Deshimaru et la transmission zen de Gudô Nishijima mais, quand je réfléchis profondément, je reconnais Ryôtan Tokuda, l’humble moine qui aujourd’hui a obscurci ses traces, comme mon véritable père. Pourquoi ? Simplement, parce que je ne vois aucune différence entre lui et moi. Je me vois et je le vois, je le vois et je me vois. Telle est la relation singulière du maître et du disciple. Chaque jour, chaque instant, une gratitude infinie s’élève dans mon esprit. Des années durant, nous nous sommes rencontrés, non pas pour voir quelqu’un d’autre, lui, un Français, moi, un Japonais, non pas pour parler du zen ni même pour pratiquer ensemble ou nous élever spirituellement. Cette rencontre était au-delà de toutes ces aspirations. Nous nous sommes simplement rencontrés en un lieu pur et nu, silencieux et sacré. Un lieu qui n’aura jamais de nom.
Ryôtan transmettait la voie. Mais transmettre ne signifie pas transmettre une histoire, des paroles ni même une expérience. La voie est transmise lorsque nous nous rencontrons en ce lieu qui n’a pas de nom. Dans le zen, nous disons que le Bouddha Shâkyamuni a transmis à Mahâkashyâpa et que Mahâkashyâpa a simultanément transmis au Bouddha Shâkyamuni. Si le Bouddha avait eu quelque chose à transmettre, Mahâkashyâpa n’aurait jamais pu transmettre au Bouddha Shâkyamuni.
Ryôtan pratiquait un zen à l’Orientale, il avait été élevé dans la culture japonaise et formé dans les temples, je pratique un zen à l’Occidentale. Nos paroles, nos styles sont différents. Chacun parle évidemment avec son histoire, sa culture, sa langue, son caractère qui lui est propre. Mais ce que les paroles pointent ne doit jamais dépendre d’une histoire personnelle ou collective, d’une langue ou d’une culture. Elles ne doivent même pas dépendre de sa propre expérience. Lorsqu’on parle de sa propre expérience, on ne parle au fond que de soi, non de ce lieu qui n’a pas de nom où l’on se défait de soi.
Les mains jointes.
Mots-clés : Gudô Nishijima, préceptes, Ryôtan Tokuda, Taisen Deshimaru
Imprimer | Articlé publié par Éric Rommeluère le 17 Jan. 08 |