Chers amis,

Le 28 juin dernier, notre groupe parisien a médité pour la dernière fois dans la salle que nous utilisions depuis neuf ans déjà à Paris 13e. Ce lieu, silencieux et simple, correspondait parfaitement à notre groupe. Mais tout change. Le propriétaire a décidé de vendre cette salle qui s’est rapidement vendue. Il n’est pas nécessaire de la regretter.

Je ne chercherai pas d’autre salle. Aujourd’hui, c’est la seule réponse qui me vient si je veux être fidèle au dharma.

Les mentalités ont profondément évolué en trente ans, vingt ans, dix ans. Hier, les lieux de méditations qui s’ouvraient en France et en Europe étaient des lieux uniques, des lieux où l’on pouvait contempler directement le dharma, voir la merveilleuse folie qui l’inspirait, celle de mettre à nu nos peurs et nos névroses. On osait tout. Aujourd’hui, la fraîcheur et l’audace se sont largement épuisées. Seuls quelques hommes et quelques femmes maintiennent encore, ici ou là, cet esprit qui entend ébranler les forteresses intérieures.

En trente ans le bouddhisme s’est installé : il est devenu un commerce comme un autre. On vous propose tout un jeu d’activités, méditations, séminaires, conférences, livres pour répondre à vos différents désirs. On vous explique en long et en large comme la méditation pourra si bien changer votre vie. On vous propose de jolies étiquettes, vous allez devenir un bodhisattva ! Il suffit d’y croire. Vous êtes conquis. On vous propose ensuite de participer à votre tour à l’entreprise et à l’œuvre d’édification. On crée finalement de toutes pièces un mirage qui se noue autour d’un objet, le bouddhisme, qui donne sens à sa vie. Mais ce n'est qu'une illusion de plus.

En trente ans les angoisses, les peurs, les tristesses ont envahi notre quotidien, bouleversant nos identités, nos relations et la manière même de déployer notre vie. Mais ce ne sont pas ces changements de mentalités qui ont façonné ce nouveau bouddhisme. Au demeurant, ces temps de crise sont un moment unique où nous pourrions tenter d’explorer à neuf le dharma. Les nouvelles générations d’enseignants n’ont simplement pas su résister aux sirènes du pouvoir et de la séduction. Chacun rivalise de titres somptueux, invente des transmissions ou des initiations, fait de superbes discours ou promet l’éveil en quelques heures (mais il faut évidemment que vous y mettiez le prix...), l’inventivité semble infinie ! Peu de personnes connaissent l’envers du décor et les petites entreprises connaissent de beaux succès. Traînant depuis des années dans l'envers du décor, j’ai parfois honte de me dire encore un disciple du Bouddha. Lorsque la séduction devient trop apparente et sujet à controverse, les enseignants se justifient en invoquant les moyens habiles. Ils utiliseraient le désir de tout à chacun d’être séduit pour les amener à vivre le dharma. La fin justifie les moyens.

Je ne crois pas à ce gente d’argument qui n’est que le cache-misère du narcissisme. J’ai été très touché par la rencontre avec des hommes du Zen. Pour eux, il est d’une importance vitale de ne pas se gratifier de jolis titres comme maître zen, rôshi, sensei, vénérable, etc., de rompre immédiatement toute forme de séduction et de couper court aux promesses. Les rencontrer est forcément difficile puisque nous fonctionnons selon les modes ordinaires de l’amour et de la haine, de l’approbation et de la désapprobation. Chacun veut quelqu’un qu’il puisse aimer, apprécier ou reconnaître car chacun veut lui-même être aimé, apprécié et reconnu. Il est difficile d’entrer dans une relation qui ne soit pas fondée sur la séduction et, précisément, ces hommes du Zen font tout pour ne pas vous séduire. Le dharma ne peut se transmettre autrement.

Nous devons résister à l’air du temps. Je ne chercherai donc pas d’autre salle. Nous devons vivre une autre forme de rencontre qui montre immédiatement notre volonté commune de ne pas séduire et de ne pas être séduit. Kôdô Sawaki disait : « Étudier le bouddhisme signifie étudier la perte. » Ce n’est pas juste une belle phrase à lire. Les hommes et les femmes du Zen doivent vraiment s’exercer à perdre. Dans l'exercice, nous ne perdrons finalement qu’une seule chose : la peur.



Photographie : Ch
ris Jordan (In Katrina's Wake: Portraits of Loss from an Unnatural Disaster, 2005)


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