Le tribunal correctionnel de Paris a donc condamné hier Éric Zemmour pour provocation à la discrimination raciale pour ses propos tenus l’année dernière sur Canal+ et France O (une condamnation avec sursis plutôt symbolique). Thierry Mariani, ancien député UMP et actuellement membre du gouvernement (il est secrétaire d’État chargé des transports), a immédiatement réagi par un communiqué exprimant sa « consternation ». Monsieur Mariani ne semble pas tenu au devoir de réserve qui s’imposerait à tout membre du gouvernement au nom du principe de la séparation des pouvoirs. Saisissant l’occasion, il renchérit sur les thèmes préférés d’Éric Zemmour qui trouvent un réel écho dans une partie du monde politique actuel : « J’observe, écrit-il, que les professionnels de l'antiracisme préfèrent se constituer partie civile, plutôt que d'assumer un débat public à la loyale sur les sujets qui préoccupent nos concitoyens, qu'il s'agisse de la délinquance, du fondamentalisme islamiste, des prières de rue, ou de la gangstérisation de certains quartiers sensibles. » On remarquera l’ambiguïté de la phrase. Les cours de justice ne seraient donc pas également un espace où l’on peut débattre loyalement ?…

Éric Zemmour, lui, rêve mélancolique d’une France de papa, à la moustache fière et gauloise, assumant son histoire chrétienne et qui accueillerait volontiers (mais pas trop) les immigrants pourvu qu’ils se sentent eux-mêmes blancs et propres. On leur pardonnera alors évidemment leur couleur de peau. Ce modèle de l'assimilation qui fut le modèle français tout au long du XXe siècle est fondé sur la négation de l’identité personnelle, sociale, linguistique, culturelle et religieuse. Les immigrants sont sommés de la cacher dans un espace privé, très privé, ou mieux encore de l’oublier. Mais nul ne peut taire son identité et ses origines qu’au prix d’une réelle violence faite à soi-même. Pour peu que les immigrants restent des laissés pour compte, demeurent en marge de la vie sociale et culturelle et soient physiquement relégués dans les zones urbaines (*), il n’est pas étonnant que leurs enfants se rebellent ou se tournent vers les anciennes racines, au risque de toutes les dérives. «La plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait! », disait Éric Zemmour, propos qui lui vaut aujourd’hui d’être condamné. Sont-ils trafiquants parce qu’ils sont simplement noirs ou arabes, sans qu’il y ait rien d’autre à ajouter, ou parce que la société française n’a pas pu ou n’a pas su les intégrer (il serait plus juste de dire intégrer leurs parents) au tissu social – constat dont nous devrions prendre les leçons ? Depuis quelques dizaines d’années, le visage des sociétés occidentales a changé. Qu’on s’en réjouisse ou non, nous sommes devenues des sociétés multiraciales et polyculturelles. La France peut s’enorgueillir d’avoir été et d’être encore une terre d’accueil et d’asile. Aujourd’hui, elle compte six millions de musulmans. On nous le répète parfois sur le ton du constat plus ou moins apeuré. Mais là encore, il y a une certaine violence des mots à laquelle nous devrions prêter attention. Peut-on réduire six millions d’hommes et de femmes issus pour la plupart de l’immigration des pays du Maghreb et de l'Afrique sub-saharienne à une religion qu’ils ne pratiquent d’ailleurs pas forcément tous ? Pour beaucoup, la langue berbère a autant façonné leur identité que l’Islam.

Toute société a besoin d’une cohésion et d’une harmonie sans quoi elle sombre  inexorablement dans le chaos et la violence. Ni le déni de l’identité personnelle ou culturelle ni la répression ne sont des réponses appropriées qui puissent s’inscrire dans une authentique perspective d’intégration. Encore plus aujourd’hui, alors que les crises attisent le repli individuel et communautaire, le modèle passéiste d’Éric Zemmour n’a de sens. Nous avons plutôt besoin d’un modèle ancré dans la réalité présente et surtout qui offre une réelle vision de l’avenir. Les politiciens n’ont plus de guère de vision, tout au plus ambitionnent-il de gérer des états de fait – « C’est un fait », comme le dit si bien Éric Zemmour. En ce sens, la répression est une pensée à court terme, ce ne peut être une véritable pensée politique qui s’oblige à penser l’avenir. Une vision politique suppose un projet dynamique qui puisse être relayé dans les divers relais institutionnels et dans lequel chacun des acteurs sociaux, les communautés comme les citoyens, se reconnaisse. Un tel projet ne peut s’appuyer que sur la coopération des acteurs sociaux. La coopération ne nie pas l’identité ou la spécificité des individus ou les groupes mais ceux-ci se retrouvent et participent dans un projet plus global dans lequel ils s’intègrent et participent. La coopération n’est pas un concept, c’est une œuvre qui s’inscrit dans la matérialité : nous faisons effectivement des choses en commun. Aujourd’hui, les valeurs de la République se sont diluées dans l’éther des concepts. Dans le quotidien ordinaire, ce sont d’autres valeurs qui modèlent la plupart de nos actions, la consommation et l’argent. Célébrer en commun les valeurs du capitalisme marchand est une fausse œuvre commune. Il devrait appartenir aux intellectuels et aux hommes politiques de fonder un projet coopératif social dans lequel, sans se renier, chacun puisse voir au-delà de lui-même.

En complément dans la presse :
- Noirs, Arabes et délinquance : Éric Zemmour condamné (un article de Rue89)
-
Éric Zemmour condamné pour provocation à la haine raciale (un article de Liberation.fr)

(*) Pour une analyse de l’encadrement spatial des migrants et des réfugiés dans les sociétés européennes contemporaines, on lira l’ouvrage éclairant de Zygmunt Bauman, Le présent liquide : Peurs sociales et obsession sécuritaire, Paris, Les Éditions du Seuil, 2007.


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