Dans le premier chapitre du Sûtra du Grand Lumineux (en sanskrit Mahâ Vairocana sûtra), Vairocana, le Bouddha primordial, s’adresse à un bodhisattva qui porte le nom de Maître des Secrets. Il lui enseigne les trois formules : « L’esprit d’éveil est la cause, la compassion, le fondement, les moyens habiles, l’aboutissement. » Puis immédiatement il l’interpelle : «Maître des Secrets ! Qu’est-ce que l’éveil ? C’est connaître son propre esprit tel qu’il est. » Ce très bref passage est considéré comme le cœur du sûtra, la sublime parole de Vairocana qui expose à découvert le cœur de l’enseignement des bouddhas.

Lorsqu’on évoque l’esprit, on pense habituellement à ses multiples vicissitudes, ce qu’on pourrait simplement appeler le mental, toutes ces opérations comme le fait de penser, d’imaginer ou de calculer. Parfois ces opérations paraissent encombrer l’esprit sous la forme du ressassement ou de la pensée maniaque. Parfois elles paraissent l’embellir. Une grande part de l’activité humaine est constituée par ces opérations mentales : penser, élaborer, rêver, fantasmer. Mais si l’on revient à la simple expérience de se tenir dans la vie, nous ressentons comme le mental ne se confond pas avec l’esprit. Si vous observez votre esprit, vous utilisez votre conscience. Si cette conscience permet d’examiner l’esprit comme un objet (et donc ainsi s’auto-examiner), l’esprit n’est pas un objet que l’on pourrait isoler et penser sinon par une abstraction qui nous détache de l’expérience immédiate. L’esprit, lui, n’est pas détaché de l’expérience. Nous pourrions même dire que l’esprit n’est qu’un autre nom pour l’expérience. Vous marchez dans la rue, vous ressentez l’obscurité ou bien la luminosité, le silence ou le bruit. Votre esprit n’existe pas en dehors de l’obscurité ou de la luminosité, du silence ou du bruit. L’expérience d’être dans cette rue embrasse votre conscience et le monde. Même des sentiments qui seraient plus personnels (le silence peut devenir oppressant, le bruit une cacophonie insupportable) et qui peu à peu reconfigurent ou distordent la situation par des opérations mentales subtiles ou de plus en plus évidentes s’expriment comme une expérience et ne sont rien d’autre que des formes de l’esprit. Au-delà de ces aspects psychologiques, ou plutôt en deçà, chacun d’entre nous possède une qualité de présence qui nous permet d’être vivant et sentant. Toutes ces opérations mentales se tissent et s’élaborent en se superposant avec le fait primordial de la présence. Même celui qui se sent absent, déboussolé, endommagé, possède toujours plus ou moins aiguisée, plus ou moins voilée une qualité de présence sans laquelle il ne pourrait vivre. Le dharma
nous enjoint sans cesse de retourner à cette expérience de la présence par-delà nos histoires propres et nos particularités, que nous soyons en cet instant heureux ou malheureux. « Qu’est-ce que l’éveil ? C’est connaître son propre esprit tel qu’il est. » Mais cette connaissance de l’esprit, vous l’avez déjà.

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