Autrefois, j’ai étudié la méditation
Accordant finement le souffle
(Ryôkan)

Dans l’apprentissage de la méditation, on distingue traditionnellement trois aspects fondamentaux : la disposition du corps (調身 chôshin), la disposition de la respiration (調息 chôsoku) et la disposition du mental (調心 chôshin). Ce terme de
調 chô peut également être traduit par l’accord, l’arrangement, l’harmonisation, la conformation ou la régulation.

Pour le dire brièvement : La disposition du corps, il s’agit de s’asseoir droit, le corps redressé ; la disposition de la respiration, on respire doucement par le nez ; la disposition de l’esprit, on ne recherche rien de particulier pas plus qu’on ne refuse quoi que ce soit.

Comme l’écrit Dôgen : « La méditation assise des moines zen doit immanquablement débuter par s’asseoir droit, le corps redressé (端身正坐 tanshin shôza). Après quoi, on règle sa respiration (
調息 chôsoku) et on dispose l’esprit (致心 chishin). » (Eihei Kôroku, V, 390).

On présente toujours ces trois aspects – s’asseoir droit, harmoniser sa respiration, disposer son mental – comme les conditions premières de la méditation. Pourtant, une fois que l’on est assis droit, on demeure immobile, continuant de garder cette rectitude du corps. Une fois que l’on a harmonisé sa respiration, on n’augmente ni ne ralentit particulièrement le rythme du souffle, se contentant de respirer doucement par le nez. Une fois que l’on a disposé l’esprit, on ne porte pas son attention sur un objet particulier, pas plus qu’on ne commence à réfléchir sur un sujet quelconque, on demeure simplement dans le silence du cœur.

Toujours une même question se pose : que fait-on pendant la méditation ? Dans tous les textes zen, vous ne lirez jamais des expressions comme « se concentrer sur la respiration » ou « observer la respiration ». Pourquoi ? La méditation zen délaisse toutes les méthodes, toutes les techniques. On se contente de demeurer dans l’ouvert. Bien sûr, parfois, il faut utiliser quelques techniques lorsqu’on ressent une confusion ou des difficultés qui nous engloutissent. Mais ces techniques, comme compter les respirations ou porter l’attention sur un point du corps, n’ont pour but que de créer les conditions de l’assise. Dans la confusion, on n’est pas encore totalement droit, on n’a pas encore harmonisé sa respiration, on n’a pas encore réellement disposé l’esprit. Ces exercices de méditation ne peuvent être confondus avec la méditation zen elle-même.

Dans cette dimension d’ouverture, on ne se concentre sur rien de particulier. On ne contrôle rien. Et pourtant notre expérience réelle de la méditation n’est pas celle du rien, mais celle de la vie vivante en nous. Même immobile, le corps reste parcouru d’infinis mouvements, tout simplement déjà le va-et-vient du souffle qui soulève de respiration en respiration la cage thoracique, le battement du cœur qui devient perceptible, et puis également tous ces mouvements inaudibles du sang, des fluides organiques qui parcourent sans cesse tous les espaces de notre corps. Loin d’être un corps inanimé, au sein même de l’immobilité, les mouvements peuvent être fins, imperceptibles, pourtant, ils se perpétuent encore et encore, indépendamment de toute volonté. Même si l’on demeure dans le silence de la pensée, même si l’on ne pense pas à quelque chose de particulier, on ressent de même comme le mental possède sa propre densité, qu’il est parcouru de mouvements subtils avant même qu’il ne s’anime sous la forme d’une pensée.

Tous les textes zen donnent comme seules instructions de disposer le corps (chôshin), la respiration (chôsoku) et le mental (chôshin) : asseyez-vous droit, respirez par le nez, n’évitez rien, ne recherchez rien. Ce qui peut créer quelque frustration : Enfin, dites-nous, que faire ? Pourquoi Dôgen n’explique-t-il jamais la méditation dans ses textes ? Mais ne voyez-vous pas qu’il a déjà tout dit ? Assis dans l’ouvert, nous ne faisons qu’approfondir cette triple disposition du corps, de la respiration, et du mental.

調 chô pourrait encore mieux se traduire par ajustement, instant après instant, on s’ajuste à l’immobilité et au silence. Cet ajustement s’opère en lâchant prise. Dans le corps, une sensation apparaît, comme un engourdissement des jambes, cet engourdissement va-t-il dévorer notre méditation ou laissons-nous cette sensation à elle-même. On entend un bruit, comme le gargouillement du ventre de mon voisin de méditation, va-t-on pester, sourire intérieurement ou laisser ce bruit à lui-même ? Une pensée surgit après une autre : va-t-on poursuivre cette dissertation ou laisser cette pensée se dissoudre d’elle-même.

Il n’y a pas d’état méditatif, au sens où un état désignerait une attitude figée et unie où plus rien ne bougerait. La méditation n’est qu’un processus infini où d’instant en instant, nous nous ajustons, parfois imperceptiblement, parfois plus grossièrement à l’immobilité et au silence. Un tel ajustement ne relève pas de la volonté. C’est la vie qui s’ajuste à la vie. C’est le corps lui-même qui trouve sa juste place dans l’espace, c’est la respiration elle-même qui fore sa colonne d’air, c’est le mental lui-même qui ouvre l’espace infini du cœur.


 
À suivre...

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