Avec la mondialisation et la globalisation (son versant économique), l’interdépendance est devenue un mot familier pour décrire la complexité du monde dans lequel nous vivons. Le concept est assez récent et trouve sa source dans la théorie des systèmes qui s’attache à comprendre le fonctionnement et le dynamisme des systèmes organisés (ce qu'on appelle la systémique). Dans le domaine francophone, Edgar Morin a su tout à la fois développer ces idées, leur trouver de nouveaux champs d’application, tout en les vulgarisant. Le concept de boucle rétroactive est particulièrement mis en valeur par Morin : A agit sur B et, en retour, B agit sur A, etc.

L'interdépendance nous est souvent présentée comme une notion bouddhiste. Pourtant, aucun auteur n’a développé de réflexion sur l'organisation des systèmes ou les boucles de rétroaction. Le seul principe qui s’en rapprocherait est la co-production conditionnée, une explication dynamique des processus d’individuation et de souffrance (l’un se confondant avec l’autre) présente dans les écoles anciennes. Douze éléments sont en co-dépendance circulaire : 1/ l’ignorance, 2/ les constructions mentales, 3/ la conscience discriminante, 4/ le nom et la forme, 5/ les sphères sensorielles, 6/ le contact, 7/ le sentiment, 8/ la soif, 9/ l’attachement, 10/ l’existence, 11/ la naissance, 12/ la vieillesse et la mort (qui entraîne à nouveau vers l'ignorance). Il en existe deux présentations traditionnelles, celle qui voit l’enchaînement des douze éléments comme un développement successif sur trois vies, celle qui voit l’enchaînement comme une co-production simultanée. Le cercle est fermé sur lui-même, l’identité et la souffrance sont auto-produites, sans relations causales avec le monde extérieur, ce qui pose naturellement la question du solipsisme dans le bouddhisme : existe-t-il une réalité en-dehors de l’esprit ? Et comment des consciences peuvent-elles expérimenter un monde commun ? Ces questions ont été débattues par les philosophes indiens, mais sans vraiment y apporter de réponses satisfaisantes.

Méditant Le Sûtra de la guirlande fleurie, un texte essentiel du Grand Véhicule, les traditions extrême-orientales ont développé la notion d’interpénétration ou d’inter-existence - qui n’est pourtant pas l’interdépendance. Les phénomènes ne sont pas considérés dans leurs liens de dépendance causale mais dans leur  aspect de non-dualité comme le sont l’envers et l’endroit d’une feuille de papier. Ils sont co-présents et simultanés. Selon une formulation traditionnelle, "les phénomènes ne s’empêchent pas" (jiji muge 事事無礙). Je reprends le terme d’inter-existence d’après le néologisme d’inter-être forgé par le maître vietnamien Thich Nhât Hânh pour traduire le chinois 相即,
sōsoku dans sa prononciation japonaise. indique un rapport de réciprocité, soku, d’indissociabilité. Les traducteurs francophones rendent généralement 相即 sōsoku par "identité mutuelle".

La différence entre l’interdépendance et l’inter-existence peut se comprendre à travers un exemple. Une personne parle à une autre, leurs attitudes s’ajustent, elles rebondissent et se répondent. L’inter-existence ne désigne pas les interactions entre les deux mais un fait primordial, antérieur même à leur communication : dès qu’il y a un je, il y a un tu. Si je suis, tu es.





Machine civilization
, une chanson du groupe
World Order écrite peu après la catastrophe nucléaire de Fukushima. (Musique : Sudô Genki et Watanabe Takashi. Paroles : Sudô Genki). We are all one.


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