Quand un sourire s'éteint...
J’apprends avec peine le décès ce matin de Michel Bovay, l’un des plus anciens disciples de Maître Deshimaru, qui était malade depuis deux longues années. À la fin des années 70, il était le secrétaire général de l'Association Zen Internationale et supervisait toutes les activités de Taisen Deshimaru, ce qui n'était pas toujours pour lui de tout repos (voir ci-dessous). J'étais à cette époque moine-cuisinier dans le restaurant expérimental de Taisen Deshimaru à Paris et il était en quelque sorte mon mentor. Michel était doux et simple. Il était aussi Suisse et musicien. Son corps sera incinéré le 29 avril à Zürich.
Lorsque je travaillais pour Maître Deshimaru, j’étais responsable de beaucoup de choses et il me chargeait de plus en plus de travail. Un de mes grands problèmes était que je n’arrivais souvent pas à dire « non ». Mais un jour, je suis allé le voir et je lui ai dit : « Il m’est impossible de tout faire. » Alors, il me demanda : « Combien d’heures dors-tu par nuit ? » « Je ne sais pas exactement, peut-être six heures. » « Six heures ! s’écria-t-il. Moi, quand j’étais jeune, je ne dormais que trois heures par nuit. Alors, tu vois, maintenant tu as gagné trois heures et tu peux faire encore pour trois heures de travail en plus. » Je repartis donc sans avoir solutionné mon problème.
Un autre jour, il m’a dit : « Il faut que tu sortes de cette situation, mais en n’utilisant ni la porte ni la fenêtre. » C’est ce qu’on appelle dans le zen un koan, une énigme à résoudre. Ni par la fenêtre ni par la porte, cela ne pouvait être qu’en moi-même.
Une fois, lorsqu’il était en voyage au Japon, je lui ai écrit une lettre en disant : « Jusqu’à maintenant, je vous ai toujours suivi et fait ce que vous avez dit. Mais aujourd’hui, je dis non. »
De retour de son voyage, il m’a donné rendez-vous le lendemain à trois heures. Maître Deshimaru était un homme très fort, je savais de quoi il était capable et je me suis dit : « Oh ! là ! là, qu’est-ce que je vais prendre ! Je ne sais pas ce qui va se passer, mais quoi qu’il arrive, même si je dois mourir, c’est non. »Le lendemain, à exactement trois heures, je suis donc allé le voir. Me tenant bien droit, concentré sur chacun de mes pas, j’ai traversé la rue, monté l’escalier et frappé à sa porte. Il m’attendait dans sa chambre et, à ma grande surprise, il était assis là avec un sourire énorme. Car rien qu’à mon pas et à la façon dont j’ai frappé à sa porte, il avait déjà compris ma détermination. Il me dit : « Ça fait deux ans que j’attends ce jour. Tu as fait un grand pas en avant. À partir de maintenant, tu es libre. » Je tombais des nues. Tout d’un coup, tout a lâché en moi. Je me sentais complètement libre. À cet instant, je compris que toute ma vie, j’avais été prisonnier d’une illusion que je m’étais créée moi-même, qui tout au fond, en fait, n’est rien d’autre que la peur de perdre son ego. C’était ça, l’enseignement que Maître Deshimaru me donnait.
Michel Bovay, 1997.
Lorsque je travaillais pour Maître Deshimaru, j’étais responsable de beaucoup de choses et il me chargeait de plus en plus de travail. Un de mes grands problèmes était que je n’arrivais souvent pas à dire « non ». Mais un jour, je suis allé le voir et je lui ai dit : « Il m’est impossible de tout faire. » Alors, il me demanda : « Combien d’heures dors-tu par nuit ? » « Je ne sais pas exactement, peut-être six heures. » « Six heures ! s’écria-t-il. Moi, quand j’étais jeune, je ne dormais que trois heures par nuit. Alors, tu vois, maintenant tu as gagné trois heures et tu peux faire encore pour trois heures de travail en plus. » Je repartis donc sans avoir solutionné mon problème.
Un autre jour, il m’a dit : « Il faut que tu sortes de cette situation, mais en n’utilisant ni la porte ni la fenêtre. » C’est ce qu’on appelle dans le zen un koan, une énigme à résoudre. Ni par la fenêtre ni par la porte, cela ne pouvait être qu’en moi-même.
Une fois, lorsqu’il était en voyage au Japon, je lui ai écrit une lettre en disant : « Jusqu’à maintenant, je vous ai toujours suivi et fait ce que vous avez dit. Mais aujourd’hui, je dis non. »
De retour de son voyage, il m’a donné rendez-vous le lendemain à trois heures. Maître Deshimaru était un homme très fort, je savais de quoi il était capable et je me suis dit : « Oh ! là ! là, qu’est-ce que je vais prendre ! Je ne sais pas ce qui va se passer, mais quoi qu’il arrive, même si je dois mourir, c’est non. »Le lendemain, à exactement trois heures, je suis donc allé le voir. Me tenant bien droit, concentré sur chacun de mes pas, j’ai traversé la rue, monté l’escalier et frappé à sa porte. Il m’attendait dans sa chambre et, à ma grande surprise, il était assis là avec un sourire énorme. Car rien qu’à mon pas et à la façon dont j’ai frappé à sa porte, il avait déjà compris ma détermination. Il me dit : « Ça fait deux ans que j’attends ce jour. Tu as fait un grand pas en avant. À partir de maintenant, tu es libre. » Je tombais des nues. Tout d’un coup, tout a lâché en moi. Je me sentais complètement libre. À cet instant, je compris que toute ma vie, j’avais été prisonnier d’une illusion que je m’étais créée moi-même, qui tout au fond, en fait, n’est rien d’autre que la peur de perdre son ego. C’était ça, l’enseignement que Maître Deshimaru me donnait.
Michel Bovay, 1997.
Mots-clés : Taisen Deshimaru
Imprimer | Articlé publié par Jiun Éric Rommeluère le 25 Avr. 09 |